
Château de Sillé-le-Guillaume (Crédit photo: Romain Bréget - !Wikimedia Commons)
Le maintien de l'indivision aurait généré trop de frais sans la moindre rentrée d'argent puisque l'appartement, classé G, ne pouvait plus être loué à compter du 1er janvier 2025.
Lorsqu'il rend son dernier soupir en août 2019, Roger est sans doute à mille lieux d'imaginer que son modeste logement du 11e arrondissement de Paris va susciter autant de passions et de conflits entre ses ayants droit. Un juge vient tout juste de mettre un terme aux bisbilles, en ordonnant la vente de ce bien classé G, qui ne pouvait générer que des charges et pas le moindre loyer puisqu' il est interdit à la location à compter du 1er janvier 2025 . «Les réglementations sur la mise en conformité des logements en vue de leur mise en location se durcissent et vont continuer à se durcir. Cela nous permet d'avoir des arguments supplémentaires auprès des tribunaux pour solliciter l'autorisation de vendre des biens immobiliers dans des situations d'indivision conflictuelles» , analyse l'avocat parisien Robinson Ladreit de Lacharrière, spécialiste des successions et membre du cabinet Ravanas.
L'homme de 86 ans, qui fut steward puis chef de rang dans de grands restaurants aux États-Unis, divorcé de longue date et sans enfant, vivait là depuis des lustres. Ses frères et sœurs, au nombre de quatre et nés d'un autre lit, étaient décédés depuis longtemps. Et il n'avait pas de contact avec leur descendance respective, à l'exception d'un neveu installé comme lui à Paris qu'il voyait trois fois par an. Roger vivait chichement et était très soucieux de son indépendance.
Plus d'un million d'euros d'actif et pas de testament
À sa mort, son logement - un studio dans son jus au quatrième étage sans ascenseur d'un immeuble de la rue Saint-Bernard - est estimé 220.000 euros. Plusieurs centaines de milliers d'euros dorment aussi sur ses différents comptes bancaires. La succession s'élève au total à plus d'un million d'euros. «Jamais je ne me suis permis de lui poser la moindre question sur ce qu'il avait» , raconte Jean-Michel, le neveu parisien qui, en dépit de ses nombreuses démarches et à son grand désespoir, n'est jamais parvenu à connaître les circonstances exactes de la mort de son oncle.
Roger n'a pas laissé de testament. Fin 2019, un premier généalogiste installé à Monaco prend contact avec une des héritières. «C'est par lui que j'ai appris le décès de mon oncle, souligne cette dernière, Amanda. Je n'ai jamais bien su comment il était arrivé jusqu'à moi. Peut-être par le syndic de l'immeuble. Il me demandait de signer un papier sur lequel il était écrit qu'il prélèverait 30 % de l'héritage.» Puis un second chasseur d'héritiers entre à son tour en piste avant qu'un troisième ne soit désigné fin 2020 par le notaire d'Amanda pour retrouver tous les ayants droit . Le covid va quelque peu retarder les recherches.
Au final, six héritiers sont identifiés aux quatre coins de la France: des neveux, des nièces mais aussi une petite-nièce dont certains ignoraient l'existence. La succession est assez vite bloquée. En cause: l'appartement de l'«oncle Roger». Cinq des héritiers souhaitent le vendre. Mais le sixième — la petite-nièce —, fait la morte durant plusieurs années, s'abstenant de donner suite aux offres d'achat de deux acquéreurs potentiels. Elle n'aurait pas digéré un conflit familial ancien. En bloquant la vente de l'appartement, elle bloque l'ensemble de la succession, les héritiers ne touchant que quelques avances sur les liquidités.
Après des années de tentatives d'accord restées infructueuses, les cinq indivisaires prennent conseil auprès de Me Robinson Ladreit de Lacharrière pour contraindre leur petite-cousine à accepter la vente. Plus le temps passe, plus les pénalités qu'ils vont devoir régler à l'État en raison du retard pris sur la succession vont grimper. Or, les droits de successions sont déjà très lourds, pas moins de 55 %. Au regard de l'urgence, l'avocat lance, fin juillet 2024, une procédure accélérée au fond.
La justice a finalement tranché en quatre mois, un délai record s'il en est. Le jugement rendu le 3 décembre 2024 au tribunal judiciaire de Paris ordonne la vente de ce bien de 23 m² sans le consentement de la petite-nièce, à condition de ne pas le céder sous le prix plancher de 170.000 euros. Le juge a fait sienne l'ensemble de l'argumentation développée par l'avocat, pointant l'incapacité de certains des héritiers — aux revenus très modestes — de financer les travaux de rénovation énergétique estimés entre 20.000 et 23.000 euros par une agence immobilière, l'impossibilité de louer le logement classé à partir du 1er janvier 2025 et les dépenses auxquelles devraient faire face les indivisaires: taxe foncière, taxe sur les logements vacants, charges de copropriété...
Le risque d'une indivision «structurellement déficitaire»
« Cette situation met en péril l'équilibre de l'indivision, laquelle risque d'être structurellement déficitaire à défaut d'engager des travaux que les indivisaires n'ont pas nécessairement les moyens d'assumer, auquel se combine le risque que le bien se dégrade à défaut d'entretien» , peut-on lire dans le jugement. Les questions de performance énergétique pourraient prendre de plus en plus de poids à l'avenir dans les décisions de juges. Quant à la petite-nièce «taiseuse», qui n'était pas présente et ne s'était pas fait représenter à l'audience, elle a été condamnée à verser 2500 euros aux cinq autres héritiers, au titre des dépens. Elle n'a pas fait appel. Un acquéreur est sur les rangs depuis plusieurs mois. La promesse de vente va être signée d'ici peu, pour un montant sensiblement supérieur au prix plancher de 170.000 euros fixé par le juge.
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