Les alternatives à l’impôt sur la fortune information fournie par The Conversation 01/10/2025 à 11:16
Une approche holistique est préférable à l'impôt français sur la fortune. En combinant taxe mondiale, lutte contre la fraude fiscale et politiques de redistribution, il est possible de supprimer cet impôt sans les potentielles fuites de capitaux. Mais ces alternatives présentent-elles une possibilité de réduire les inégalités économiques tout en finançant les services publics essentiels ?
En 2024, Marlène Engelhorn, descendante du fondateur des entreprises chimiques et pharmaceutiques allemandes BASF, renonce à 25 millions d'euros d'héritage. Elle lance le mouvement Tax Me Now. Ce dernier regroupe en Allemagne et en Autriche des centaines de millionnaires et de milliardaires qui souhaitent repenser la fiscalité pour faire payer davantage les plus riches. Une façon de remettre sur la table le sujet brûlant de l'impôt sur la fortune.
« J'ai hérité d'une fortune et par là même d'un pouvoir, sans avoir jamais rien fait pour mériter cela. Et l'État ne veut même pas que je paie d'impôts sur la succession », raconte-t-elle.
Selon un sondage réalisé en 2024 pour Oxfam, 78 % des Français sont en faveur d'une taxation plus importante des personnes les plus fortunées. Car, en France, la fortune de Bernard Arnault est de 203 milliards d'euros en 2024, celle des propriétaires de Chanel Alain et Gérard Wertheimer, de cent milliards d'euros, et celle de Rodolphe Saadé, président de CMA-CGM, de 39 milliards d'euros.
N'existe-t-il pas, cependant, des alternatives à l'impôt sur la fortune ? Présentent-elles une possibilité de réduire les inégalités économiques tout en finançant les services publics essentiels ?
Approche holistique
L'impôt sur la fortune constitue une mesure utile dans certains contextes. Il est particulièrement efficace dans les pays où le 1 % le plus riche détient une part disproportionnée des actifs financiers et immobiliers ou quand le patrimoine est transmis de façon intergénérationnelle sans taxation adéquate. Cependant, il lui est reproché de générer des effets pervers : fuite de capitaux et de ménages fortunés, impact négatif sur l'investissement et la compétitivité économique, ou complexité administrative inhérente à sa mise en œuvre.
Une approche holistique avec des mesures fiscales, sociales et internationales, permettrait de ne pas se concentrer uniquement sur l'ISF ou l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Elle repose sur une vision systémique des inégalités et de la fiscalité, et cherche à articuler l'ISF avec d'autres politiques publiques. Cette approche permettrait de concevoir cet impôt non comme un outil fiscal isolé, mais comme un levier intégré au sein d'un système global de justice économique, sociale et environnementale.
Ce système serait basé sur des réformes fiscales, des stratégies de lutte contre la fraude, et des investissements dans le capital humain et social. Ces réflexions ouvrent la porte à un débat plus large sur la refonte du système fiscal mondial et des modèles de redistribution.
Impôt mondial sur les grandes fortunes
Conclu par 140 pays en 2021, l'impôt mondial de 15 % sur les multinationales est entré en vigueur dans l'Union européenne le 1er janvier 2024. L'idée est simple : appliquer partout dans le monde un impôt minimum sur les sociétés. Il est susceptible de rapporter chaque année de 141 milliards à 175 milliards d'euros de recettes supplémentaires aux États. Donald Trump, nouveau président états-unien, souhaite le supprimer.
De son côté, l'Organisation des Nations unies (ONU) considère que le système fiscal mondial a besoin d'être réformé. En août 2024, elle présente un projet de nouvel accord fiscal universel. Il met l'accent sur plusieurs réformes clés : instauration de normes fiscales plus équitables entre les pays développés et en développement, lutte renforcée contre l'évasion fiscale et une plus grande transparence dans les pratiques des multinationales. L'ONU appelle également à la création d'un organe fiscal intergouvernemental sous son égide pour remplacer le rôle dominant de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cette nouvelle architecture vise à garantir une représentation plus inclusive des pays du Sud dans les décisions fiscales internationales.
Lutte contre la fraude fiscale
La lutte contre la fraude fiscale reste un axe stratégique fondamental pour toute réforme visant à compenser l'absence d'un impôt sur la fortune. L'enjeu : restaurer la confiance dans le système fiscal en garantissant que les plus fortunés contribuent effectivement à l'effort collectif. En mai 2023, un plan de lutte contre la fraude fiscale a été instauré par Gabriel Attal, le ministre français chargé des comptes publics : 600 millions d'euros supplémentaires sont collectés en 2023 par rapport à l'année précédente. La Cour des comptes précise que si le contrôle s'est professionnalisé, il doit encore s'améliorer sur la détection et l'évaluation de la fraude.
Cette lutte s'inscrit dans un cadre de coopération internationale. Depuis le 15 juillet 2014, à la demande du G20, une norme invite les juridictions nationales à obtenir des renseignements auprès de leurs institutions financières et à les échanger automatiquement avec d'autres juridictions. Dix ans plus tard, le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, sous égide de l'OCDE, souligne les importants progrès effectués dans ces domaines. En 2022, plus de 111 millions de comptes financiers ont été échangés entre administrations fiscales. La valeur totale des actifs échangés s'élève à plus de 11 000 milliards d'euros.
L'OCDE estime que plus de 100 milliards d'euros ont été récupérés en impôts impayés depuis 2009. Parallèlement, la mise en place de sanctions économiques et diplomatiques à l'encontre des paradis fiscaux réduit les possibilités d'optimisation fiscale abusive. En effet, depuis 2000, l'OCDE publie des listes des juridictions non coopératives. L'Union européenne a également créé une liste noire avec des restrictions financières, notamment l'interdiction d'accès aux fonds de développement. En conséquence, de nombreux pays ont modifié leur législation pour éviter ces listes.
Politiques de redistribution
Les politiques sociales sont des leviers cruciaux pour lutter contre les inégalités.
En investissant dans l'éducation, la santé et les infrastructures publiques, les gouvernements peuvent réduire de manière significative les écarts de richesse au sein de la société. Ces investissements renforcent les filets de sécurité sociale et permettent d'offrir des services publics accessibles à tous, indépendamment du niveau de revenu. Un accès équitable à une éducation de qualité offre à chacun les moyens d'acquérir des compétences, d'améliorer sa productivité, permettant ainsi de briser le cycle intergénérationnel de la pauvreté. Des soins de santé accessibles réduisent la vulnérabilité des ménages pauvres aux chocs sanitaires. Des infrastructures bien développées facilitent l'intégration économique des zones défavorisées.
En parallèle, la mise en place de systèmes redistributifs, comme le revenu de base ou un impôt négatif sur le revenu, pourrait jouer un rôle crucial dans la réduction des inégalités sociales. Le revenu de base consiste à verser à chaque individu un montant fixe, inconditionnel et régulier, permettant de couvrir les besoins fondamentaux. L'impôt négatif sur le revenu, concept théorisé par Milton Friedman, fonctionne de manière ciblée. En dessous d'un certain seuil de revenus, les individus reçoivent un transfert de l'État plutôt que de payer l'impôt. Contrairement au revenu universel, cette mesure est progressive et dépend du revenu perçu.
Ces mécanismes ont en commun de chercher à concilier efficacité économique et justice sociale, en stimulant la demande tout en réduisant la pauvreté structurelle.
Les alternatives ne manquent pas… autant les tester !
Auteur: Éric Le Fur , Professeur, INSEEC Grande École
Cet article est issu du site The Conversation