Taxer les riches ou tomber: Lecornu face à un ultimatum pour le budget information fournie par Reuters 18/09/2025 à 09:35
par Leigh Thomas
C'est la question cruciale, qui pourrait décider de l'avenir du nouveau locataire de Matignon, Sébastien Lecornu: comment taxer les millionnaires en France ?
En échange de leur soutien au Premier ministre, les socialistes réclament que le projet de budget pour 2026 prévoit un taux plancher d'imposition de 2% sur les plus grandes fortunes françaises, une condition qui lie la survie politique de Sébastien Lecornu à une mesure disposant d'un grand soutien populaire mais que rejettent alliés et opposants de droite.
Fidèle d'Emmanuel Macron devenu le cinquième locataire de Matignon nommé en moins de deux ans par le chef de l'Etat, Sébastien Lecornu s'active pour parvenir à avancer sur le budget, qui doit être transmis à l'Assemblée nationale d'ici le 7 octobre.
Si elle venait à être intégrée au projet de budget, cette "taxe Zucman" devrait vraisemblablement redéfinir l'approche de la France à l'égard de l'inégalité des richesses et alimenter les craintes d'une fuite des capitaux, alors même que le pays présente déjà le taux d'imposition le plus important d'Europe en pourcentage du produit intérieur brut (PIB).
Gabriel Zucman, l'économiste à l'origine de cette proposition, espère que celle-ci va déclencher des débats similaires à travers le continent.
Dans de nombreux pays, les foyers les plus riches paient moins d'impôts sur le revenu que la plupart des citoyens, mais cet écart est particulièrement important en France, a-t-il souligné dans un entretien à Reuters.
"Ce problème existe partout. Il est particulièrement extrême en France pour deux raisons. D'abord, parce que les milliardaires ne paient quasiment pas d'impôt sur le revenu en France et, d'autre part, parce que leur fortune s'est faite particulièrement vite au cours des 15 dernières années", a-t-il déclaré.
SOUTIEN POPULAIRE
Gabriel Zucman estime que taxer à 2% les patrimoines français supérieurs à 100 millions d'euros concernerait seulement 1.800 foyers et permettrait de récolter jusqu'à 20 milliards d'euros par an, contribuant à réduire le déficit public de la France - estimé actuellement à 5,4% du PIB, soit parmi les plus élevés de la zone euro.
Sept économistes ont écrit dans une tribune publiée par Le Monde que la "taxe Zucman" devrait vraisemblablement générer 5 milliards d'euros, et non pas 20 milliards, et pourrait pousser les grandes fortunes à quitter la France.
Un sondage Ifop réalisé ce mois-ci pour le Parti socialiste (PS) montre que 86% des personnes interrogées disent soutenir la taxe Zucman, dont 92% des électeurs du parti présidentiel.
La proposition est soutenue au Parlement par l'ensemble de la gauche, qui était parvenue à faire approuver la mesure à l'Assemblée nationale en février dernier avant que le Sénat ne la rejette.
Elle a désormais davantage de chances de figurer dans le projet de budget pour 2026, Sébastien Lecornu ne pouvant pas se permettre d'échauder les socialistes, qui pourraient sinon provoquer la chute du Premier ministre en s'associant à d'autres partis lors d'un vote de censure.
Sébastien Lecornu a dit être disposé à discuter, tout en craignant qu'inclure dans la mesure les actifs des dirigeants d'entreprises, plutôt que leurs biens immobiliers et actifs financiers, pénalise les créateurs d'emplois.
Le patron du Medef, Patrick Martin, a prévenu que taxer les actifs des entreprises dissuaderait les investissements, rappelant que ces actifs n'étaient pas concernés par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) qui a remplacé l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), supprimé par Emmanuel Macron.
UN COMPROMIS POUR LES START-UPS
Les détracteurs de la taxe Zucman disent craindre qu'elle nuise aux investissements dans des start-ups novatrices, comme le champion français de l'intelligence artificielle Mistral AI, dont le patron a déclaré que la France avait besoin de davantage de justice fiscale mais devait également demeurer compétitive.
"Il y a toujours une tension entre la redistribution dont on a besoin et l'innovation", a déclaré sur France 2 le directeur général de Mistral AI, Arthur Mensch, ajoutant qu'il ne pouvait personnellement pas se permettre de verser cette taxe.
Alors qu'il est commun que les start-ups génèrent des bénéfices seulement après plusieurs années, les fondateurs de ces firmes pourraient être contraints de vendre des parts pour payer la taxe Zucman.
Les socialistes disent entendre ces préoccupations et être ouverts à des négociations, à partir du moment où ils ont la garantie que des milliardaires tels que le patron de LVMH, Bernard Arnault, plus grande fortune de France, seront concernés par la mesure.
"Il faut favoriser les start-ups", a déclaré le député socialiste Philippe Brun sur franceinfo, proposant que les firmes soient exemptées de cette taxe tant qu'elles n'ont pas enregistré cinq années de bénéfices. "Le but c'est de taxer les milliardaires".
RECOURS CONSTITUTIONNELS ?
D'après un avocat fiscaliste, le nombre de contribuables aisés cherchant à quitter la France face au risque d'une taxation accrue a augmenté au cours de l'année écoulée.
"Ils ne sont pas les ultra-riches, ils n'ont pas 100 millions d'euros", a dit Philippe Lorentz, du cabinet d'avocats August Debouzy. "Donc vous pouvez imaginer pour les gens qui ont 100 millions..."
Gabriel Zucman insiste sur la nécessité qu'il n'y ait aucune exception, se disant favorable à ce que les propriétaires de firmes telles que Mistral AI, désormais valorisée à 11,7 milliards d'euros, versent des actions à défaut d'argent.
Reste que, dans tous les cas, des experts juridiques ont averti que la taxe pourrait être contestée sur le plan constitutionnel, citant une jurisprudence contraire aux mesures "confiscatoires" et aux taxes qui distinguent des groupes spécifiques.
Face à cette théorie, Gabriel Zucman brandit la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, qui stipule que l'impôt doit être réparti de manière égale entre tous les citoyens "en raison de leur faculté".
La taxe qu'il a conçue ne contraindrait pas les ultra-riches à verser davantage d'impôts que les autres, a-t-il dit, mais plutôt à garantir qu'ils ne paient pas moins.
"Donc c'est une simple mise en conformité de nos lois fiscales avec le principe constitutionnel fondamental d'égalité devant l'impôt", a-t-il ajouté.
(Leigh Thomas, avec la contribution de Florence Loeve; version française Jean Terzian, édité par Blandine Hénault)