Acheter avec sa meilleure amie : bonne idée ou bombe à retardement ? information fournie par Biba Magazine 01/12/2025 à 09:51
Acheter à deux ouvre des possibilités. Mais entre amitié, finances et règles à poser, l’équation est parfois moins simple qu’elle n’en a l’air.
Acheter une maison avec sa meilleure amie, c’est souvent une idée qui naît au détour d’un apéro ou d’un week-end à la mer. On s’imagine déjà les soirées d’été, les enfants qui courent dans le jardin, la chambre rien qu’à soi dans ce refuge partagé. Avec l’augmentation des prix de l’immobilier, ce rêve prend aujourd’hui une tournure très concrète : à deux, le budget grimpe, le choix des biens s’élargit, la vue mer ou la maison avec piscine deviennent tout à coup accessibles. Mais derrière ce projet très affectif se cache un engagement financier et juridique lourd, qui peut souder une amitié autant qu’il peut la fissurer.
Une maison partagée qui demande des règles
Louise, 31 ans, en a fait l’expérience avec deux amis parisiens. Au départ, ce n’était qu’un fantasme de week-end, qu’elle résume dans les colonnes du Figaro : « On se disait que c’était hors de nos moyens ». Un 1er janvier un peu embrumé, ils ouvrent finalement leur ordinateur, se mettent à scroller sur Le Bon Coin et basculent progressivement du rêve au plan d’action. Très vite, ils posent leurs conditions : « On voulait que la maison soit à 1h30 maximum de trajet, un peu paumée, surtout pas en ville, avec une chambre chacun, un grand jardin, une cheminée, et bien sûr que ce soit de l’ancien ». Ils finissent par créer une SCI, baptisée « La maison du bonheur », visitent, négocient, empruntent, s’installent sur des matelas gonflables pour lancer les travaux. L’euphorie est là, mais les galères aussi : devis qui explosent, invasion de puces, nuits à six dans une maison en chantier. Et pourtant, Louise ne regrette pas : « Quand vous branchez l’électricité et que ça marche, ou que la plomberie ne fuit pas, quelle satisfaction ! »
D’autres groupes d’amis racontent une histoire similaire, avec des contours différents, mais une même réalité de fond : la vie à plusieurs n’a rien d’un long fleuve tranquille. Une bande de copains, sept au total, a ainsi acheté une longère à la campagne, à parts égales, avec 5 000 m² de terrain, rapporte Le Monde . L’idée : disposer de chambres pour chaque famille, partager les charges et profiter au moins deux week-ends par mois d’une maison qu’ils n’auraient jamais pu s’offrir seuls. Leur projet a failli capoter dès le départ, le montage du financement ayant effrayé plusieurs banques. Une fois les clés en poche, il a fallu écrire un règlement intérieur, tenir un cahier de présence, organiser des tours de tonte de pelouse et décider qui peut inviter qui. Et accepter que les envies divergent : certains veulent louer la maison quelques semaines par an, d’autres refusent catégoriquement. Ici encore, les tensions ne font pas disparaître la joie, mais elles rappellent que cet achat engage bien plus qu’un simple coup de cœur.
Un cadre juridique… mais surtout une affaire d’entente
Au-delà des histoires, un point commun ressort : la structure juridique choisie conditionne beaucoup la suite. La solution la plus fréquente, notamment pour une résidence secondaire entre amis, reste l’indivision. Me Laurence Briday, notaire, la résume ainsi sur le site de Notaires Office : « C’est acheter à plusieurs une quote-part indivise. Par exemple, on achète un bien 400 000 euros, on est 4 et chacun possède ¼ soit 100 000 euros ». Chacun est propriétaire en son nom, à hauteur de son apport. En théorie, c’est simple, peu coûteux et assez rapide à mettre en place. En pratique, ce régime repose largement sur la bonne entente et la capacité de chacun à tenir ses engagements sur la durée, dans un contexte où les vies évoluent : déménagement, séparation, naissance, changement de job…
Le vrai point de fragilité de l’indivision n’est pas technique, il est humain. La notaire ne le cache pas : « Le danger, c’est la fâcherie, évidemment, on se fâche pour une raison ou pour une autre. Et donc un seul peut mettre en vente, obliger la vente des autres ». Si l’un des indivisaires veut sortir, le bien peut être mis en vente, parfois contre l’avis des autres, à moins qu’ils aient les moyens de racheter sa part. Les dettes et travaux se partagent aussi au prorata de chacun, avec un principe de solidarité financière qui peut vite peser lorsqu’un ami ne suit plus. D’où l’importance de ne pas se contenter du minimum légal et d’encadrer cet achat dès le départ.
Poser des règles avant que les tensions n’apparaissent
Pour limiter les risques de conflit, les notaires recommandent presque systématiquement la rédaction d’une convention d’indivision, sorte de mode d’emploi de la maison entre copines. Me Marlène Chalopin le formule clairement auprès de Notaires Office : « Dans la convention d’indivision, plutôt que de laisser la loi décider, on va dire qui fait quoi. Par exemple, on va dire que le couple A s’occupe de l’entretien des espaces verts et qu’ils ont la maison tout le mois de juillet. On va aussi dire que le couple B s’occupe de mettre en ligne les annonces et qu’ils ont la maison tout le mois d’août. Cela va permettre d’organiser, de prévenir les litiges ». On peut y préciser les règles d’occupation (ensemble ou à tour de rôle), la répartition des charges, la marche à suivre en cas de revente ou de désaccord. L’idée n’est pas de brider la spontanéité, mais de poser un cadre avant que les premières tensions ne surgissent.
L’autre grande option, souvent privilégiée lorsque le projet est plus ambitieux ou s’inscrit dans le temps long, est la société civile immobilière. Là encore, Me Chalopin insiste sur la philosophie de ce montage : « Dans la SCI, on n’est pas propriétaire personnellement du bien, c’est la SCI qui le détient. Les associés se partagent des parts. Avec la société, on peut également structurer pour éviter les litiges ». Les statuts permettent de définir très finement les règles d’entrée et de sortie, le rôle du ou de la gérante, les conditions dans lesquelles un associé peut céder ses parts ou les transmettre. C’est une solution plus encadrée, notamment en cas de décès ou si de nouveaux associés arrivent, mais aussi plus lourde : frais de création, obligations administratives, réunions et comptabilité.
Anticiper les imprévus pour préserver l’amitié
Entre ces deux cadres, la clé est de ne pas se lancer à l’aveugle. Le recours à un notaire permet de mesurer les conséquences concrètes de chaque formule sur votre situation personnelle, vos projets de vie et votre amitié. Là encore, Me Chalopin résume la marche à suivre : « A minima, en indivision, il faut faire une convention d’indivision. C’est le minimum syndical ! C’est comme un règlement intérieur. La SCI sera privilégiée si les couples d’amis veulent acquérir plusieurs biens ou pour anticiper un décès. On voit le cas parfois au sein de jeunes couples : en cas de décès, les héritiers mineurs ne rentrent pas dans la société, à l’inverse de l’indivision. Cela protège le reste des propriétaires de parts ». Avant de signer, mieux vaut donc poser toutes les questions gênantes : qui paie quoi, que se passe-t-il si l’une veut vendre, si l’autre change de ville, si la maison doit être louée ou rénovée ?
Acheter avec sa meilleure amie n’est ni une folie à fuir, ni une garantie de catastrophe. C’est un projet enthousiasmant, qui peut devenir ce « lieu du bonheur » où vous vous retrouvez, mais qui exige de sortir un peu de la magie du moment pour parler argent, règles et plan B. Si vous êtes capables de vous dire les choses franchement, de vous projeter dans cinq ou dix ans et de vous entourer des bons conseils, ce pari peut renforcer votre amitié autant que votre patrimoine. Dans le cas contraire, mieux vaut peut-être commencer par multiplier les week-ends en location… et garder votre meilleure amie comme confidente, plutôt que comme copropriétaire.