L’épargne émotionnelle : pourquoi on met (ou pas) de l’argent de côté selon son humeur information fournie par aufeminin 02/12/2025 à 11:27
On croit épargner avec méthode et volonté, mais nos émotions influencent souvent nos décisions. Comprendre ces mécanismes aide à mieux gérer son argent.
On aime imaginer que l’épargne est une affaire de chiffres, de tableur et de “bonne volonté”. En réalité, nos comptes parlent autant de nos émotions que de notre salaire. Il suffit d’une fatigue accumulée, d’une dispute, d’une prime inattendue ou d’un coup de blues pour que le virement vers le livret A disparaisse au profit d’un panier en ligne. C’est ce qu’on appelle, de plus en plus, l’épargne émotionnelle : cette façon très humaine de décider de ce qu’on met de côté (ou pas) en fonction de ce qu’on ressent, bien plus que de ce qu’on “sait” raisonnable.
L’argent, une relation qui commence dès l’enfance
Notre rapport à l’argent ne commence pas avec notre premier salaire, mais bien plus tôt. Il se construit dans l’enfance, en observant la manière dont on parlait, ou dont on ne parlait pas, d’argent à la maison. Certaines ont grandi avec la peur du découvert, la phrase “on ne sait jamais” et le réflexe d’épargner dès qu’un peu d’argent tombe. D’autres ont connu les achats coup de tête, les cartes bancaires bloquées, les montées de stress avant de payer les factures. Ces expériences laissent des traces : chez les unes, un besoin presque compulsif de sécurité, chez les autres, une envie de profiter maintenant parce qu’on a trop vu ce que c’est que de se priver.
À cela s’ajoutent les émotions du quotidien. On ne dépense pas pareil après une bonne nouvelle qu’après une semaine épuisante. Une robe achetée “parce que je la mérite” après un rendez-vous raté, un dîner livré un soir de surcharge mentale, un abonnement dont on ne se sert presque pas, mais qui “fait du bien” : autant de décisions qui n’ont rien de rationnel, mais qui répondent à un besoin émotionnel immédiat. À l’inverse, épargner peut parfois s’accompagner d’une autre forme d’inconfort : la culpabilité de se faire passer en premier, de mettre de côté pour soi quand la famille, les enfants ou les proches ont aussi des besoins. Résultat, certaines femmes s’interdisent d’épargner pour leurs propres projets, alors même qu’elles savent que ce coussin de sécurité leur ferait du bien.
Ces raccourcis mentaux qui sabotent notre épargne
De temps en temps, ces mouvements dépassent largement la simple “humeur du jour” et prennent la forme d’un véritable auto-sabotage financier. C’est le cas quand on enchaîne les comportements qui vont clairement à l’encontre de ses objectifs : vider son épargne juste après l’avoir constituée, faire exploser son budget alors qu’on avait enfin retrouvé un équilibre, repousser indéfiniment l’ouverture d’un plan d’épargne pourtant nécessaire. Ces gestes ne sont pas forcément de la “faiblesse” ou un manque de volonté, mais peuvent être liés à des émotions plus profondes : colère, ressentiment, impression de ne pas mériter de réussir, besoin de “se venger” de normes familiales trop strictes autour de l’argent. Comme le rappelle la doctorante en neuropsychologie Nawal Mustafa sur son compte Instagram, “ l’autosabotage est une action qui vous empêche d’atteindre vos objectifs, qui nuit à votre bien-être ou qui entrave votre développement ”. Et selon la psychothérapeute Shirani Pathak, “ il s’agit en fait d’un mécanisme de protection créé par votre psyché pour vous protéger de tout danger ou préjudice potentiel. Ce qui nous est familier est ce que notre psyché considère comme sûr ”, indique-t-elle dans les colonnes de PsychCentral . Dépenser peut alors devenir une manière de reprendre un semblant de contrôle… tout en se faisant du tort à long terme.
La psychologie et la finance comportementale montrent aussi que notre cerveau adore les raccourcis. L’aversion à la perte nous pousse, par exemple, à ressentir une somme “bloquée” sur un compte d’épargne comme une sorte de manque, alors même qu’elle nous protège. La gratification immédiate nous fait préférer un plaisir tout de suite, comme un week-end, un gadget, un resto, à un projet plus lointain, mais plus important, comme un déménagement ou un congé sabbatique. La “comptabilité mentale” nous incite à traiter différemment une prime ou un cadeau en argent (facilement dépensés) et notre salaire (qu’on affecte plus volontiers aux charges). Enfin, l’inertie joue à plein : une fois qu’on a pris l’habitude de ne pas épargner, il devient très difficile de changer de trajectoire, même si on en a les moyens. Comme le souligne la psychothérapeute Vicky Reynal dans Psychology Today , “ ces comportements peuvent sembler satisfaisants sur le moment, mais ils finissent par renforcer les sentiments d’impuissance, de culpabilité et de dépendance ”.
Apprendre à reconnaître ses déclencheurs émotionnels
La question n’est donc pas de “couper” l’émotion pour devenir une épargnante parfaite, mais plutôt de mieux la comprendre pour qu’elle cesse de saboter nos efforts. Un premier pas consiste à repérer ses déclencheurs : dans quels états émotionnels avez-vous tendance à dépenser ou à valider un achat plus vite que d’habitude ? Qu’est-ce qui, au contraire, vous donne envie de serrer les cordons de la bourse ? Prendre le réflexe d’attendre quelques heures, voire une journée, avant une dépense importante permet déjà de laisser redescendre l’émotion et de voir si l’envie tient toujours. Mettre par écrit ses projets, comme un matelas de sécurité de trois mois de dépenses, un voyage ou une formation, aide aussi à confronter le plaisir immédiat au plaisir différé, sans se juger.
Ensuite, on peut utiliser ces mécanismes à son avantage. La “comptabilité mentale” devient utile quand on renomme ses comptes : un livret “liberté” ou “projets perso” donne plus envie d’être alimenté qu’un simple “épargne n°2”. La barrière mentale fonctionne aussi dans le bon sens si l’on automatise les virements en début de mois : l’argent qui part tout de suite vers l’épargne est vite perçu comme “intouchable”, comme une charge parmi d’autres. Enfin, se prévoir des petites dépenses plaisir dans le budget, plutôt que d’essayer de tout supprimer, évite les craquages massifs qui font exploser les comptes… et la culpabilité.
L’épargne émotionnelle n’est pas un défaut à corriger, c’est une réalité à apprivoiser. Nos peurs du manque, notre besoin de nous récompenser, notre culpabilité ou notre envie de suivre le rythme des autres continueront d’exister. Mais en les observant au lieu de les subir, on peut construire une épargne qui ne soit ni punitive ni totalement laissée au hasard. L’objectif n’est pas de devenir une “bonne élève” de la finance, mais de trouver un équilibre où l’argent devient un allié plutôt qu’un sujet de honte ou de stress. S’écouter davantage, oui, à condition de laisser une place à la raison : c’est souvent là que se joue, à long terme, le vrai confort financier.