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Électricité : pourquoi le renouvelable amène à repenser la tarification heures pleines/heures creuses
information fournie par The Conversation 30/11/2024 à 08:30
Temps de lecture: 7 min

Le kilowatt-heure d'électricité est moins cher à certaines heures de la journée, lorsque la demande sur le réseau électrique est la plus faible. (crédit : Adobe Stock)

Le kilowatt-heure d'électricité est moins cher à certaines heures de la journée, lorsque la demande sur le réseau électrique est la plus faible. (crédit : Adobe Stock)

L'évolution de la production électrique est-elle cohérente avec le système de tarification actuel ? L'introduction de l'énergie renouvelable sur le réseau, et en particulier du photovoltaïque, rend peu à peu caduc le système classique d'alternance entre heures creuses et heures pleines. Cette tarification ne suit en effet plus les pics de production d'électricité, et donc le prix réel.

La transition énergétique continue de progresser à l'échelle mondiale. 2023 s'affirme comme une année charnière où le cap de 30% de l'électricité générée à partir d'énergie renouvelable a été dépassé pour la première fois, d'après Ember. Cette avancée, encourageante, n'est pas sans répercussions pour les consommateurs : reflétant cette nouvelle donne, le prix de l'électricité pourrait évoluer.

En France notamment, une nouvelle tarification de l'électricité est en discussion afin d'encourager la consommation durant de nouvelles heures creuses. Les changements à l'œuvre sur les marchés de l'électricité et les expérimentations européennes permettent à ce titre d'esquisser plusieurs recommandations pour rendre ces futurs tarifs plus efficaces.

Un besoin de révision déjà bien présent

Les tarifs actuels de l'électricité en France reposent notamment sur une structure s'appuyant sur deux périodes, notamment pour les particuliers : les heures pleines et les heures creuses. La facturation d'un foyer français sur deux dépend de cette distinction. Cette option est attractive car, avec elle, le kilowatt-heure d'électricité est moins cher à certaines heures de la journée, lorsque la demande sur le réseau électrique est la plus faible.

Bien qu'il existe des disparités locales sur les plages horaires, comme le souligne Enedis, plus de 60% des logements bénéficient des heures creuses dites nocturnes. Ces plages horaires, situées entre 20h00 et 8h00, offrent aux ménages un total de 8 heures par jour de tarifs réduits, ce qui les incite ainsi à décaler certaines utilisations électriques. Pour les autres consommateurs, les heures creuses sont réparties différemment, avec deux à trois heures entre 12h00 et 17h00, périodes où la consommation électrique est également plus faible. Cette diversité dans la répartition des heures creuses vise à optimiser la gestion de la consommation énergétique en fonction des capacités locales du réseau et de la production disponible, contribuant notamment à éviter le recours à des centrales de pointe coûteuses.

Néanmoins, les temps changent et la France a déjà connu plus de 250 heures à prix négatifs en 2024, dont près de 90% entre 11h00 et 18h00 d'après les données de l'ENTSO-e. Ces prix négatifs surviennent lorsque la production dépasse la demande, obligeant les producteurs d'électricité à payer pour que leur électricité soit consommée, souvent pour éviter des opérations coûteuses de redémarrage de centrales thermiques. Ce phénomène se produit notamment lorsque la production solaire photovoltaïque est abondante.

Quand les prix deviennent négatifs

Or, l'actuelle alternance jour/nuit des tarifs heures pleines/heures creuses (HP/HC) n'incite guère à reporter la consommation sur les heures de milieu de journée, pourtant avantageuse pour une gestion optimale du réseau et pour les factures des consommateurs. En effet, ces derniers ne peuvent profiter des prix bas, voire négatifs, durant ces créneaux, puisque c'est le tarif des heures pleines qui s'applique en journée. Ainsi, le besoin d'une révision tarifaire s'est récemment imposé pour mieux s'aligner sur les tendances émergentes en France et chez ses voisins.

Le sujet est loin d'être anodin en raison de l'importance de la demande actuellement dépendante de ces heures creuses. À titre d'exemple, le pilotage des ballons d'eau chaude résidentielle, c'est-à-dire la capacité d'activer automatiquement les ballons d'eau chaude pendant les heures creuses, permet d'ores et déjà d'éviter 2 GW de consommation aux heures de pointe, d'après RTE, soit la capacité de production à la pointe de presque deux centrales nucléaires. Les gains d'efficacité accessibles avec une réforme tarifaire seraient donc significatifs, particulièrement avec la montée en puissance des véhicules électriques, qui vont stimuler la demande d'électricité.

Les leçons à tirer de nos voisins

La France n'est pas une exception sur le sujet. De nombreux pays ont d'ores et déjà pris ce problème en compte, et ce depuis plusieurs années. L'Espagne ou la Suède ont ainsi fait le choix d'exposer les consommateurs à des tarifs en temps réels, permettant par exemple de charger sa voiture électrique lorsque l'électricité est la moins chère, voire d'être rémunéré pour le faire en cas de prix négatifs. L'Italie aussi a fait le choix d'imposer un tarif plus dynamique, l'option HP/HC étant l'option par défaut pour 25 millions de consommateurs depuis 2010. Enfin, plusieurs fournisseurs d'électricité aux États-Unis ont pris les devants, et proposent des grilles tarifaires distinguant trois périodes temporelles, en fonction de la saison, du jour de la semaine et des heures de la journée.

Plusieurs leçons sont à tirer de ces expériences : en Espagne, plusieurs recherches ont montré que seulement 40% des ménages sont conscients de cette tarification, réduisant ainsi son efficacité et son intérêt. En Italie, le faible différentiel de prix initialement prévu entre les heures pleines et creuses a lui aussi limité la réponse des consommateurs, réduisant la flexibilité à quelques pourcentages de la consommation électrique d'après des chercheurs.

La France a cependant des arguments à faire valoir, du fait de son intérêt de longue date pour ce que l'on appelle le « signal-prix » en économie, comme en témoigne le tarif Tempo distinguant trois types de jours (bleu, blanc, rouge) depuis 1998, bien avant le déploiement du compteur Linky. Conséquence directe de la crise énergétique, ce tarif bénéficie d'un regain d'intérêt, passant d'un point bas à 200.000 clients en 2022 à plus de 750.000 clients en 2024 d'après Enedis.

La flexibilité de la demande

Le déploiement des énergies renouvelables et l'électrification des usages sont autant de raisons pour remettre à plat la grille tarifaire. En effet, les heures creuses actuelles ne reflètent plus suffisamment les périodes de production solaires en Europe, une tendance pourtant amenée à s'affirmer dans de nombreux pays et du fait de l'interconnexion avec nos voisins. Notre recherche souligne ainsi que l'adoption plus large d'heures creuses "solaires" serait une première piste pour améliorer la représentativité des tarifs en France, tout en assurant la lisibilité des nouvelles grilles.

De même, déployer plus largement des tarifs avec l'option "effacement des jours de pointes" (EJP) permettrait d'avoir des outils à disposition en cas de tension sur le réseau électrique, comme ce fut le cas lors de la crise de marché de 2021-2022 ou lors de périodes de "sécheresse énergétique", c'est-à-dire des périodes sans vents ni soleil. Avec à la clé des bénéfices tant pour les factures des consommateurs que pour le système électrique.

Si le constat est clair, les solutions nécessitent néanmoins une refonte plus large. Les marchés à terme, notamment, permettent aux fournisseurs et autres acteurs de l'industrie électrique d'acheter et de vendre de l'électricité des années à l'avance. Cela se fait via des contrats de longue durée qui garantissent un prix fixe pour une période future, offrant ainsi une certaine stabilité et prévisibilité financière.

Parmi les produits couramment échangés sur ces marchés, on trouve principalement les contrats de base et de pointe. Les contrats de base concernent l'achat ou la vente d'électricité pour une fourniture continue pendant toutes les heures de chaque jour (24 heures sur 24) sur une période donnée. En revanche, les contrats de pointe portent sur les heures de pointe, généralement définies comme les heures de 8h00 à 20h00 en semaine, lorsque la demande d'électricité est la plus élevée et les prix de marché plus chers.

La production croissante d'énergie solaire actuelle ne répondant plus à la logique de segmentation historique jour/nuit, cela mène à des situations paradoxales, où les heures de pointe coûtent désormais moins cher que les heures de base. L'exercice est par ailleurs difficile, car les heures creuses jouent sur deux tableaux : elles permettent également de limiter les besoins en renforcement de réseau en lissant la consommation sur la journée, c'est-à-dire en limitant la pointe de consommation et donc la capacité électrique à fournir au réseau. Trouver le bon équilibre entre les prix de marché et les coûts du réseau sera donc, sans aucun doute, un élément clé.

Des économies significatives pour notre facture d'électricité

Du côté des consommateurs, la facture pourrait baisser de l'ordre de 10% si ceux-ci jouent le jeu, c'est-à-dire s'ils consomment surtout pendant ces nouvelles heures creuses solaires. À l'inverse, le coût social d'un statu quo sur les tarifs HP/HC actuels pourrait atteindre plusieurs centaines de millions d'euros par an en 2030, du fait de la perte progressive d'intérêt des signaux-prix jour/nuit historique, relativement à l'évolution des mix de production électrique en France et en Europe vers des énergies renouvelables.

À l'heure de l'accélération de la transition énergétique en Europe, il est donc essentiel de reconsidérer la tarification de l'électricité. La combinaison de nouvelles régulations et d'offres de marché innovantes, par exemple accompagnant le déploiement de véhicules électriques, pourrait permettre la mise en œuvre de ces nouveaux modèles tarifaires. Gageons que les futures annonces de la Commission de régulation de l'énergie et d'Enedis prendront en compte les tendances actuellement à l'œuvre, et celles à venir.

Par Manuel Villavicencio
Chercheur associé, Chaire European Electricity Markets, Université Paris-Dauphine, Université Paris Dauphine – PSL

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Cet article est issu du site The Conversation