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Cyclisme virtuel : décryptage d’une pratique devenue e-sport
information fournie par The Conversation 09/01/2025 à 08:30
Temps de lecture: 5 min

On estime qu'il y a environ un million de comptes actifs sur Zwift.(crédit : Adobe Stock / photo générée par IA)

On estime qu'il y a environ un million de comptes actifs sur Zwift.(crédit : Adobe Stock / photo générée par IA)

Apparu en 2014 et popularisé par les confinements, le e-cyclisme connaît un véritable engouement. Il bénéficie de tous les avantages attendus par les sportifs virtuels : ludique, fournisseur de données de santé, appartenance à une communauté voire… la possibilité de devenir un professionnel du e-sport.

Pendant longtemps, le home-trainer n'était qu'un accessoire d'hiver par mauvais temps. Les cyclistes les plus anciens d'entre nous se souviennent de ces séances particulièrement ennuyeuses et bruyantes sur des rouleaux, où il fallait s'efforcer de rester en équilibre sur son vélo. Sauf pour quelques irréductibles, ce temps est aujourd'hui révolu. Les home-trainers sont dorénavant… connectés.

Le principe est simple : le home trainer est connecté à une plate-forme en ligne. L'effort que produit le cycliste chez lui sur son vélo est transmis à son avatar voyageant dans des mondes virtuels. Le home-trainer ajuste automatiquement la résistance en fonction du parcours, de la taille et du poids du cycliste et de sa présence ou non dans un peloton. La plate-forme permet de partager, en temps réel, des sorties, des entraînements ou des courses avec ses amis, mais aussi avec d'autres cyclistes du monde entier.

E-cycling, confinement et après covid

Zwift est la plus connue de ces plates-formes de cyclisme virtuel. Apparue en 2014, elle a connu un essor fulgurant durant le confinement. Plusieurs autres plates-formes ont également bénéficié de cette période, parmi lesquelles la Tchèque Rouvy, l'Espagnole BKOOL, l'Émiratie MyWhoosh, la Française Kinomap ou encore l'Australienne FulGaz. Si l'après-Covid a entraîné une baisse du nombre d'utilisateurs, la pratique semble aujourd'hui attirer de nouveaux adeptes. Même si les plates-formes ne communiquent pas officiellement sur leur nombre d'utilisateurs, on estime ainsi qu'il y a environ un million de comptes actifs sur Zwift.

En combinant effort sportif et jeu vidéo multijoueur, l'e-cycling introduit une dimension ludique et addictive. Cette «gamification» constitue un facteur clé de la motivation. Plusieurs éléments séduisent les e-cyclistes :

  • Une progression : obtention de badges, déblocage d'un matériel spécifique en fonction du kilométrage réalisé…
  • Une dimension sociale : personnalisation de son avatar, photos et vidéos de sa sortie disponibles automatiquement sur Strava…
  • Une immersion : choix de l'angle de la caméra, manettes s'installant sur le cintre et permettant de changer de direction ou de trajectoire…

L'ère de la quantification du soi

L'accès à une multitude de données sur sa pratique constitue une autre raison majeure du succès des plates-formes e-cycling. En fonction des cyclistes, l'utilisation des données se fait plutôt dans une optique santé – kilométrage, temps d'utilisation, fréquence cardiaque, calories dépensées – ou dans une option sportive – watts, watts par kilo, cadence, zones de travail. De plus, les sorties virtuelles peuvent être automatiquement reportées sur une application mobile de sport et d'activité physique (AMSAP).

Tout ceci s'inscrit dans la tendance à la quantification du soi. La «mise en chiffres de soi», à l'aide d'outils numériques de «self-tracking», est souvent associée à une optique de comparaison, de valorisation, d'émulation ou de conformité à une norme. Elle n'est pas sans conséquence négative : questionnement sur la protection et la réutilisation des données, dépendance excessive envers les objets connectés ou encore dégradation de certains aspects de valorisation de la pratique sportive.

Une communauté virtuelle de pratique sportive

Le succès de l'e-cycling repose aussi, et peut-être surtout, sur l'aspect social et communautaire. Les travaux de Kozinets permettent de considérer les plates-formes d'e-cycling comme des communautés de pratiques virtuelles. Elles réunissent en temps réel des cyclistes qui interagissent en partageant des valeurs, des routines et des expériences sportives toujours renouvelées.

Cette dimension communautaire se traduit dans des rituels partagés, une entraide technique et l'utilisation d'un langage spécifique lié au cyclisme. La communauté peut avoir une activité partagée en dehors du site. Certains membres utilisent la plate-forme de façon créative. Par exemple, ils mettent en place des challenges tel que l'Everesting qui consiste à atteindre le dénivelé de l'Everest en une seule sortie.

La pression de la communauté peut aussi être forte. Des dénonciations de triche sont parfois observées, lorsque des performances suspectes sont détectées. Des platesformes telles que Zwift peuvent d'ailleurs être perçue comme des espaces panoptiques, dans la mesure où une observation permanente et mutuelle s'y exerce.

E-cycling : un marché qui se structure

À ses débuts, le cyclisme virtuel a pu être perçu comme une pratique secondaire, marginale. Tout au plus, la discipline permettait de découvrir des talents. Les exemples les plus emblématiques sont ceux de Jay Vine et Michael Vink recrutés respectivement par Alpecin-Fenix et UAE Emirates suite à leurs performances sur home-trainer.

Aujourd'hui, l'e-cycling est en train de devenir une pratique autonome, indépendante du cyclisme traditionnel, avec son propre écosystème. Les deux grands types d'acteurs sur le marché sont les fabricants de home-trainers connectés (Wahoo Fitness, Tacx, Elite, Kinetic…) et les plates-formes de cyclisme virtuel. Les plates-formes se financent par abonnement des utilisateurs, sauf MyWhoosh, gratuite, qui annonce se financer en partie par la publicité.

Tour de France et cyclisme virtuel

Stratégiquement, le développement du cyclisme virtuel passe par deux dimensions : une dimension sport santé, fitness et une dimension compétition, e-sport.

Le premier axe de développement implique donc de convaincre le grand public. Rouvy parraine ainsi la Vuelta (le Tour d'Espagne) et a lancé la Vuelta Virtual. Zwift est devenu le sponsor titre du Tour de France femmes, dont l'appellation officielle est désormais le Tour de France Femmes avec Zwift. De la même façon, BKOOL organise le Giro d'Italia Virtual et MyWhoosh sponsorise l'équipe UAE Emirates et a lancé une série d'entraînements labellisés UAE Team Emirates pour «s'entraîner comme Tadej Pogačar».

La compétition e-sport représente le second axe de développement. Les fédérations ont intégré l'e-cycling parmi les différentes disciplines du cyclisme. Un championnat du monde de cyclisme e-sport, reconnu par l'Union Cycliste internationale (UCI) existe ainsi depuis 2020. La plate-forme émiratie s'est orientée clairement sur la compétition e-sport. De nombreuses courses y sont organisées avec des «price money» importants : 10.000 dirhams émiratis soit environ 2.590 euros pour une victoire dans la course hebdomadaire du dimanche. Certains e-cyclistes vivent désormais de leurs performances.

La prochaine étape devrait être l'essor d'équipes professionnelles d'e-cycling et une multiplication de la diffusion des courses sur Twitch ou YouTube. Le format court, intense et indécis des courses s'y prête bien. Les évènements en présentiel devraient aussi se multiplier. La Coupe de France d'e-cycling mise en place par la FFC depuis 2022 fonctionne sur ce principe. Une série de compétitions est disputée en ligne chez soi. Elles sont qualificatives pour le Championnat de France d'e-cycling, qui lui est disputé en présentiel sur un week-end.

Malgré toutes ces initiatives, l'e-cycling n'en est qu'à ses balbutiements.

Par Eric Delattre
Maître de Conférences, LUMEN (ULR 4999), Université de Lille

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Cet article est issu du site The Conversation