
Le «Travel retail» a atteint des chiffres records estimés à plus 79 milliards de dollars en 2024. (crédit: Adobe Stock)
Ils sont devenus des moments à part entière du voyage. Dans les aéroports internationaux, les magasins de marques de luxe font désormais partie du voyage. Le secteur du luxe a, en effet, investi ces lieux du tourisme moderne. Jusqu'où cela affecte-t-il leur modèle d'affaires?
Le concept de Duty Free (hors taxes ou encore zone franche) est né en Irlande dans la seconde moitié des années 1940. Désormais, ce terme désigne l'ensemble des produits vendus sans application des taxes locales et exclusivement disponibles dans des zones internationales comme les aéroports, les ports ou certaines gares. Le Duty Free permet aux voyageurs et ceux en transit de bénéficier de prix théoriquement plus attractifs. Au fil du temps, ces zones franches se sont transformées en boutiques, en espaces de shopping, en Malls, en coins éphémères… où on loue ou achète des produits ou des services de haut de gamme voire de luxe.
En quelques années, les maisons et marques de luxe s'y sont activement déployées et se sont quasiment imposées dans ces espaces de voyage. En se transformant, le duty free a fait évoluer l'offre et l'architecture des enceintes des aéroports.
Désormais, les parfums, la cosmétique, les vins et spiritueux, les produits de mode, la confiserie, la gastronomie fine, la joaillerie et horlogerie, le tabac, les produits électroniques… sont exposés et vendus dans les aéroports, que ce soit à Paris, Singapour, Dubaï, Londres, Séoul… Les aéroports se sont métamorphosés de fait en véritables centres commerciaux spécialisés dans les produits de luxe. Les maisons transforment les temps d'attente en moments de découverte, de distraction, de plaisir et in fine d'achat. Une vraie stratégie de shopping mêlant voyage, expériences, émotions, achat et luxe. Le travel retail devient une réalité dans l'expérience de voyage.
Une nouvelle expérience de voyage
Le Travel Retail est défini comme l'ensemble des activités d'achat et de vente de luxe réalisées dans des espaces dédiés aux voyages. Pour le luxe, le Travel Retail est un canal stratégique puisqu'il offre une opportunité unique de toucher une clientèle diversifiée et internationale en un même lieu. De plus, avec un temps moyen de 1h45 disponible avant l'embarquement (étude menée dans le cadre d'une recherche), les voyageurs sont plus enclins à se «laisser aller». Ces derniers aiment découvrir et n'hésitent pas à consommer ou à vivre des expériences… bref, à jouer le jeu.
Face à cet écosystème favorable où le plaisir et les émotions se mêlent, l'industrie du luxe redouble d'innovation et d'ingéniosité en matière de merchandising, de marketing et de communication. Avec des vendeurs aguerris (formés et très smarts), des promotions excessivement alléchantes, des dispositifs interactifs, des vitrines digitales et des expériences immersives, les voyageurs rentrent dans une bulle où la consommation et l'achat sont implicitement conditionnés.
Et l'aéroport devint un hub multisensoriel
Dans certains aéroports, on pousse encore plus loin le travel shopping en intégrant des services (spa, massage, coiffure, etc.), des activités (zoo, sport, visites, etc.) et même des évènements (concerts, spectacles, etc.) en fonction de l'année.
Le Travel retail est une stratégie théorisée, pensée, organisée et déployée sur un grand nombre d'aéroports dans le monde. Il devient un véritable hub d'expériences polysensorielles où le luxe se réinvente. Ce dernier offre aux consommateurs des moments privilégiés certes, mais dope ses chiffres et renforce son image à l'international.
Le «Travel retail» a atteint des chiffres records estimés à plus 79 milliards de dollars en 2024 malgré un arrêt drastique avec la crise de la Covid. Toutefois, depuis la réouverture des aéroports en 2022, les chiffres ne cessent de décoller et de surprendre. Le nombre de fréquentations des aéroports et par ricochet, des boutiques de luxe, ne cesse de progresser.
Des zones chaudes
L'industrie du luxe dresse des zones chaudes (animées) avec un parcours client atypique, ludique et polysensoriel (les 5 sens du corps). Le dessein est de dresser un merchandising séduisant et efficace où le client accède à une espace extraordinaire au sens propre : il sort de l'ordinaire. Ainsi, l'environnement est propice à la consommation.
L'industrie du luxe mise aussi sur le digital, Internet aussi bien que les réseaux sociaux. Le smartphone est ainsi devenu l'outil d'achat et de consommation le plus mobilisé dans nos sociétés modernes. Ainsi, dans les aéroports, le téléphone, le QR code, la tablette, les objets connectés (lunettes, montres, écouteurs, etc.) sont des facteurs clés dans le succès du travel retail. Dans les grands aéroports, le système de WIFI est particulièrement boosté pour permettre aux voyageurs et clients d'avoir des connexions efficaces et surpuissantes.
L'industrie du luxe a désormais intégré le «Travel retail» comme un canal à part entière dans le dispositif de distribution (vente) et de communication. Autrement dit, l'aéroport constitue pour les marques et maisons de luxe un pilier incontournable dans leur stratégie de distribution, mais aussi, un levier dans la valorisation et dans la légitimation de leur capital marque.
Déjà des limites
Cette stratégie de «Travel retail» soulève naturellement de nombreux débats. D'abord sur l'image de marque car elle continue d'amplifier l'idée d'un luxe trop accessible et ouvert à tous. La logique du luxe business (rentabilité à outrance) ébranle aujourd'hui un grand nombre de marques et de maisons.
La surconsommation est également un phénomène qui affecte les achats en travel retail. La surabondance de produits est frappante et confirme l'idée d'un «luxe masstige», contraire à l'ADN du secteur dont la spécificité a toujours été la rareté, la discrétion et l'inaccessibilité.
Enfin le sentiment d'agacement ou l'effet de saturation de la part des voyageurs, et plus particulièrement, des voyageurs réguliers, constitue un ultime danger.
Par Daouda Coulibaly (PhD, Professeur-Associé, EDC Paris Business School) et Camille CHERKAOUI (Docteure en Sciences de Gestion, Professeure-Associée, EDC Paris Business School)
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Cet article est issu du site The Conversation