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Hôtels «No Kids», vacances «Adults Only»: quels enjeux sociaux derrière l’exclusion des enfants?
information fournie par The Conversation 07/09/2025 à 08:30
Temps de lecture: 6 min

Les offres de tourisme sans enfant se développent. Au-delà du buzz, existe-t-il un marché? un modèle économique? (crédit: Adobe Stock/photo)

Les offres de tourisme sans enfant se développent. Au-delà du buzz, existe-t-il un marché? un modèle économique? (crédit: Adobe Stock/photo)

Au-delà du buzz médiatique, que représentent vraiment les offres de tourisme sans enfants? Passés les discours marketing des uns et les indignations des autres, la situation et les motivations sont plus complexes que l'image fantasmée. Si elles interrogent la place des enfants dans notre société, ces nouvelles offres révèlent également des problèmes sociaux de fond. Nous pouvons essayer de les comprendre, plutôt que simplement les condamner.

Printemps 2024, la presse française découvre les loisirs «adults only». Reprenant une tendance des destinations touristiques ensoleillées (Mexique, Thaïlande, Espagne), des hôtels, campings et sites de vacances en France s'affichent désormais réservés aux adultes. L'opinion s'en émeut, au point que la sénatrice Laurence Rossignol dépose une proposition de loi contre ces nouvelles formes de discrimination des enfants et de leurs familles, que la législation actuelle ne permettrait pas d'interdire. Insistant sur le fait que les mères sont alors tout autant exclues que leurs enfants, comme on le constate dans les pays où les zones «no kids» sont très développées (par exemple, en Corée du Sud).

Un an plus tard, printemps 2025, Sarah El Haïry, juste nommée haut-commissaire à l'enfance, relance la polémique en convoquant les professionnels du tourisme, et en annonçant vouloir prendre des mesures radicales contre cette dérive qu'elle juge inacceptable. Pour un chercheur en gestion, s'il y a un phénomène économique, c'est qu'il y a une demande voire des besoins auxquels des entreprises répondent en y trouvant un intérêt.

Nous avons ainsi débuté une étude exploratoire sur ces prestations réservées aux adultes, en nous intéressant aux motivations des clients et des entreprises.

Une offre en forte croissance

Pour l'heure, il n'y a aucun chiffre avéré sur le nombre de ces offres en France. Les experts, ou prétendus tels, sollicités annoncent 3 à 5% du parc, mais sans étude à l'appui. Tous disent cependant qu'elles sont en forte croissance. La définition du concept n'est pas unanime non plus. Plutôt qu'à 18 ans, de nombreux prestataires fixent le seuil à 16 ans, voire 12 dans certains cas. Ce n'est pas tant leur âge que leur comportement infantile qui posent problème.

En termes de secteurs, les offres concernent principalement des hébergements touristiques, hôtels, campings et clubs. Pour lors, pas de restaurant identifié ni de transporteur, comme c'est le cas dans d'autres pays, hormis des escales en France de bateaux de croisières étrangers.

Côté clients, les aspirations peuvent être classées en trois principales catégories, cumulables. Tout d'abord la recherche d'un espace-temps de tranquillité permettant le repos, protégé des perturbations imputées aux enfants (bruits, sollicitations, agitation…). Ensuite, une recherche de l'intimité entre adultes, dans le cadre du couples ou d'amis proches. Et enfin, l'exception et la distinction, puisque la dimension «adults only» est associée à une expérience premium, par le confort et l'exclusivité des activités proposées.

Une offre «premium»?

Ainsi, le seul fait d'interdire la présence d'enfants des lieux de loisirs suffirait pour les faire passer en sites réputés haut de gamme? Selon les entreprises, ce modèle économique serait alors plus rentable, comme observé dans les autres pays. Avec, d'une part, une hausse du chiffre d'affaires, du fait d'une demande en croissance, d'une extension des séjours au-delà des congés scolaires, et d'une clientèle disposée à payer plus cher une prestation perçue supérieure. Et, de l'autre, une offre commerciale distinctive, sans nouveaux investissements et même avec une baisse des charges, puisque la présence d'enfants emporterait des coûts et des charges supplémentaires: surveillance et surtout consommables (notamment en eau). Certains opérateurs avancent même l'argument écologique, qu'on retrouve également chez un autre mouvement sans enfants, les «ChildFree», couples qui ne veulent pas procréer.

Nous n'avons toutefois par encore vérifié la véracité de la meilleure rentabilité. Certains entrepreneurs parlent de résultats classiques, du fait d'une demande moins forte qu'espérée et d'une exigence croissante de ces clients pour des prestations luxueuses, plus coûteuses.

Une discrimination légale ou non?

Demeure le problème de l'illégalité d'une discrimination «fondée sur l'âge ou la situation de famille» selon l'article 225-1 du Code pénal, pouvant conduire jusqu'à 45.000 euros d'amende et trois ans de prison. Jusqu'à présent, pour éviter ce risque judiciaire, certaines entreprises cherchaient plutôt à décourager implicitement les familles, annonçant que leurs locaux étaient inadaptés aux enfants, avec des équipements dangereux, une piscine non surveillée, ou un manque de place pour les poussettes…

Depuis la médiatisation, le positionnement réservé aux adultes est davantage assumé dans la communication des entreprises, des sites spécialisés fleurissent, et les plateformes proposent même une option spécifique «adults only» (Booking, TripAdvisor). Les avocats de ces professionnels affirment que la législation étant floue, le principe de la liberté des affaires serait plaidable, puisque ce sont des sites réservés aux adultes («adults only») et non interdits aux enfants («no kids»). Dans tous les cas, les juristes pensent que la réforme de la loi, telle qu'elle est envisagée au Sénat, n'aurait aucune efficacité.

D'autant qu'après deux ans d'un débat médiatique enflammé, aucune plainte de familles ou d'associations n'a été enregistrée. La société française serait-elle donc favorable à cette évolution? D'ailleurs, la sphère privée, non réglementée, s'avère bien plus intolérante, avec notamment un nombre croissant de cérémonies de mariages sans enfants et une hausse des lieux où on ne les supporte plus (cinémas, restaurants, transports).

Sur les plateformes de location (Airbnb, Gîtes…), c'est également chez les propriétaires-particuliers, que nous avons trouvé les propos et les pratiques les plus contestables pour dissuader les familles avec jeunes enfants.

Le triomphe de la «misopédie»

Les offres réservées aux adultes révéleraient alors une société devenue misopède? La réalité est plus complexe. Il semble qu'on assiste plutôt à une segmentation des prestataires du tourisme, avec une tendance à exclure les enfants chez les uns, et une spécialisation sur les familles pour les autres. Paradoxalement, après moult agitations médiatiques, la Haut-commissaire n'a finalement proposé comme seule mesure, que la labellisation des prestations «family-friendly», qui entérine et conforte cette segmentation sociale qu'elle prétendait pourtant circonscrire.

Par ailleurs, si les couples sans enfants (moins de 30 ans et retraités) sont logiquement les plus représentés, assumant de ne pas vouloir subir les enfants des autres pendant leurs loisirs, on trouve toutefois une proportion importante de parents et de mères (plus d'un tiers) adeptes de ces prestations dans les autres pays. Celles-ci expriment le besoin d'une parenthèse sans leurs enfants, le temps de se reposer de l'épuisement du quotidien, en culpabilisant cependant.

S'ajoutent des professionnels de l'enfance, des enseignants, des soignants ou des nounous, qui ont tout autant besoin de se reposer, afin de pouvoir mieux s'occuper des enfants le reste de l'année. Il ne s'agit donc pas d'un rejet des enfants, mais des besoins de moments sans la charge mentale et physique.

Une mesure plus égalitaire?

Autre considération d'ordre social: à l'étranger, ces offres touristiques sont fréquentées par des Français aisés.

Leur généralisation sur le territoire national les rend accessibles aux classes moyennes. Mais probablement pas aux mères des classes populaires, surtout célibataires, qui ont le plus besoin de repos. Cette discrimination par l'âge, et le genre, est donc également plus largement sociale et économique.

Malgré le discours médiatique, on peut s'interroger sur l'ampleur réelle et la rentabilité de ce phénomène. L'efficacité d'une interdiction aveugle, qui ignorerait les raisons de ces demandes, mérite également d'être questionnée. Plus structurellement, dans cette cacophonie, la parole des premiers concernés (les enfants) est totalement absente.

Les offres réservées aux adultes soulèvent des enjeux plus complexes que ne le laissent croire les débats médiatiques. Les réponses actuelles des décideurs apparaissent, au mieux, inutiles, voire contre-productives.

Par Vincent Lagarde (Maître de Conférences en Entrepreneuriat, Université de Limoges)

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Cet article est issu du site The Conversation

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