Apprendre aux étudiants à mieux manger avec l’IA?
information fournie par The Conversation 16/09/2025 à 08:30

Des étudiants utilisent l’IA pour composer des menus plus équilibrés qui intègrent leurs contraintes budgétaires. (crédit: Adobe Stock/photo générée par IA)

On parle beaucoup des usages de l'intelligence artificielle générative dans le cadre universitaire. Mais les étudiants s'en servent aussi dans leur quotidien pour résoudre des questions pratiques et, par exemple, pour mieux équilibrer leur alimentation. Enquête sur leurs objectifs et les risques éventuels liés à ces nouveaux comportements de consommation.

En écho aux messages de santé publique auxquels ils sont exposés dès leur enfance, les jeunes adultes cherchent à adopter une alimentation saine et durable. Pourtant, leurs aspirations se heurtent aux réalités du quotidien. Perception d'un temps contraint, tensions financières, manque d'idées ou de matériel, déficit de confiance en leurs compétences culinaires sont des obstacles au bien manger, qu'ils évoquent fréquemment.

Les étudiants décohabitants (qui quittent le domicile parental) sont particulièrement concernés par ces questions. Ces freins apparaissent d'autant plus marqués que leurs profils sont hétérogènes en termes de compétences culinaires et de connaissances en matière d'équilibre alimentaire.

Beaucoup vont se tourner vers des produits industriels, peu qualitatifs sur le plan nutritionnel. Mais le décalage entre leurs souhaits d'alimentation et la composition réelle de leurs repas peut accroître un sentiment de fragilité, pouvant conduire à des troubles du comportement alimentaire chez certains.

Pour contourner ces freins et accéder à une alimentation plus saine et plus durable, certains s'emparent désormais de l'intelligence artificielle (IA). C'est ce qui ressort des entretiens de recherche que nous menons avec eux. Nous nous intéressons plus particulièrement aux usages de l'IA générative, à travers des agents conversationnels comme ChatGPT, Gemini ou Claude, que les étudiants mobilisent pour obtenir des conseils pratiques, rapides et personnalisés en matière d'alimentation.

Ainsi, l'alimentation devient pour eux une situation d'usage de l'IA, qu'ils plébiscitent pour sa simplicité et l'aide concrète qu'elle leur apporte, au-delà des recours dans le cadre des travaux académiques, plus médiatisés et interrogés par le monde enseignant.

Faciliter l'accès à une alimentation plus équilibrée

En anticipant leurs repas, les étudiants ont le sentiment de disposer d'une grande autonomie dans leurs choix alimentaires. Le recours aux agents conversationnels d'IA générative, via des prompts, les conduit à orienter leurs menus vers des alternatives qu'ils considèrent comme plus saines, ce qui selon eux est une source de satisfaction personnelle.

En effet, la dichotomie qu'ils ressentent parfois entre plaisir et alimentation équilibrée est alors moins marquée. Ils peuvent sélectionner des produits qu'ils aiment tout en respectant les recommandations des professionnels de santé. Ils planifient ainsi leurs menus hebdomadaires selon leurs goûts, et s'y tiennent d'autant plus facilement que leurs préférences sont prises en compte.

Grâce à l'IA, ils considèrent que les tensions qu'ils vivaient auparavant pour composer un menu équilibré se réduisent, car ils intègrent en amont leurs contraintes de matériel, de disponibilité des denrées, de prix… Enfin, les étudiants interrogés soulignent la facilité avec laquelle ils accèdent à des conseils nutritionnels quasi individualisés, en fonction de leurs profils, pour atteindre leurs objectifs corporels.

La réalisation de recettes est considérée chez certains d'entre eux comme un écueil qui vient s'ajouter aux difficultés de leur nouveau statut social. Ils recherchent prioritairement des «bons plans», car, au-delà de la pratique culinaire, ce sont souvent les idées qui manquent pour réaliser des menus à la fois sains, gourmands et faciles à répliquer.

L'IA contribue, selon eux, à stimuler la curiosité en les invitant à tester de nouveaux produits, à expérimenter de nouveaux plats, tout en tenant compte de leurs savoir-faire.

Organiser et planifier ses repas

Dans cette génération, la cuisine est assimilée à une activité chronophage qui prend sur un temps consacré aux études ou aux loisirs. Ceci la conduit à ne pas se projeter et à préparer des «repas de la flemme», consistant à manger ce qu'elle a sous la main. Pour eux, l'IA apparaît comme une solution pour «éviter la junk food» au cours des repas et pour limiter le risque de grignotage d'aliments gras et sucrés tout au long de la journée.

Même lorsque les étudiants utilisent des applications nutritionnelles pour mieux anticiper leurs repas, ils restent nombreux à manquer de repères pour composer leurs plats au quotidien. En somme, pour eux, l'IA générative est une ressource qui limite leur charge cognitive liée à l'anticipation des menus. Elle permet non seulement de proposer des menus pour la semaine, mais également de préparer sa liste de course avec une attention apportée à la variété des produits à acheter.

De même, avec l'IA, les étudiants accèdent à des informations claires leur permettant de localiser les points de vente situés dans leur zone d'habitation ou d'études. Or, l'accessibilité des produits est une condition importante pour bien manger. Cette accessibilité s'accompagne de conseils leur permettant d'optimiser leur budget tout en achetant des denrées de bonne qualité.

De nombreux étudiants sont en situation de précarité et c'est en particulier en fin de mois, quand le budget dédié à l'alimentation est épuisé, que les choix les moins équilibrés s'imposent pour eux. L'IA peut alors les aider à mieux répartir leurs achats sur le mois et leur suggérer des aliments équivalents moins chers, en valorisant les produits en promotion, en aidant à composer des menus à partir de ce qu'ils ont déjà dans leurs placards ou leur réfrigérateur.

Des risques, liés à l'usage de l'IA, à prendre en compte

Si les propos des étudiants suggèrent une meilleure prise en charge de leur alimentation grâce à l'IA, ils mettent aussi en évidence un certain nombre de risques. Le premier concerne un risque de répétition et de monotonie.

Un autre porte sur le fait que l'IA amplifie la tendance à privilégier une individualisation excessive des repas. Or, les chercheurs et les professionnels de santé soulignent que manger, c'est aussi créer du lien social et que manger ensemble limite notamment les risques de surpoids et d'obésité.

Le programme de recherche ALIMNUM que nous menons actuellement auprès des étudiants montre que les réseaux sociaux font la promotion d'une alimentation fonctionnelle avec des visées de transformation corporelle.

L'usage de l'IA générative semble renforcer ces aspirations autour de dimensions performatives de l'alimentation. En croisant données nutritionnelles, préférences, antécédents ou objectifs, l'IA peut favoriser des logiques d'optimisation de soi, parfois sources de dérives sanitaires.

Enfin, un dernier risque identifié porte sur le fait que certains étudiants se servent de l'IA pour perdre du poids et qu'ils considèrent que les conseils qu'ils recueillent en quelques secondes leur permettent de se dispenser de consulter des professionnels de santé, difficilement accessibles à court terme.

Une prévention nécessaire pour limiter ces risques

Face aux obstacles que rencontrent de nombreux étudiants, l'IA peut devenir un outil précieux pour mieux manger. Leur appétence pour le numérique, conjuguée à un quotidien souvent contraint, justifie pleinement l'exploration de ces solutions par les jeunes adultes. En somme, en rendant l'information nutritionnelle plus claire et plus engageante, l'IA peut contribuer à réduire les inégalités de santé et redonner de l'autonomie alimentaire à cette génération.

Il s'avère donc pertinent que les acteurs de santé publique s'inspirent des usages actuels de l'IA générative et qu'ils les intègrent, de manière encadrée, dans leurs dispositifs de prévention et d'éducation nutritionnelle. Par exemple, des programmes pensés avec les professionnels de santé et par les étudiants eux-mêmes pourraient proposer des conseils fiables, personnalisés et adaptés à leurs budgets comme à leurs habitudes de vie.

L'omniprésence de l'IA dans la vie des jeunes bouscule également la manière dont les professionnels de santé doivent aborder la question de l'alimentation. Il semble nécessaire de les inviter à mieux comprendre ces technologies, à en saisir les atouts, mais aussi les limites.

Cela suppose également de les former à repérer les situations à risques, à informer et à accompagner les étudiants vers un usage plus éclairé de ces innovations numériques.

Dans le prolongement de ce que nous réalisons dans le cadre de la recherche participative MEALS, il s'agit plus globalement de stimuler l'esprit critique des jeunes et de mettre en œuvre une approche collective qui prenne en compte les cultures alimentaires, le plaisir, le partage et la diversité de leurs parcours.

Enfin, si les outils issus de l'IA générative offrent de réelles perspectives pour accompagner les jeunes dans leurs pratiques alimentaires, ils ne peuvent se substituer ni à la présence humaine, ni à la variété des expériences, ni à l'éducation au goût. Leur utilité dépendra de la manière dont ils seront intégrés à un cadre réflexif et bienveillant. Ces évolutions rappellent que, même avec la démocratisation de l'IA, l'accompagnement humain et le lien social doivent rester au cœur d'une alimentation saine et durable.

Par Pascale Ezan (professeur des universités [comportements de consommation, alimentation, réseaux sociaux], Université Le Havre Normandie) et Maxime David (Maître de conférences - Marketing, Université Le Havre Normandie)

A lire aussi:

Ces aliments du placard à toujours avoir pour manger sainement à petit prix

Cette bière bio et artisanale ne doit pas être consommée, elle contient un produit interdit

Les magasins bio de nouveau plébiscités, Biocoop toujours leader du secteur


Cet article est issu du site The Conversation