Valeur moyenne : Lacroix, activités diversifiées et stratégie de long terme information fournie par Le Cercle des analystes indépendants 15/02/2018 à 15:38
Il y a plusieurs sortes de groupes cotés : ceux qui exercent plus ou moins un seul métier avec leurs filiales, tels Legrand ou Schneider dans le matériel électrique, Renault dans l'automobile, Arkema dans la chimie, Alstom dans le ferroviaire, Michelin dans les pneumatiques etc., ceux qui ont au moins deux métiers annexes, ou connexes, tels Veolia ou Suez, qui opèrent à la fois dans l'eau du robinet et les déchets, ou Danone qui vend à la fois des yaourts et de l'eau minérale etc., et enfin les groupes dits "diversifiés", qui exercent plusieurs métiers différents en fait, même si, quelque fois, ces métiers ont des points communs. Vivendi, qui opère à la fois dans la télévision payante, la production cinématographique, l'édition musicale, et, depuis peu, la publicité, est un bon exemple de groupe diversifié, avec quatre métiers différents, mais faisant indéniablement partie de l'univers de la "com", un univers dont les frontières sont toutefois de plus en plus floues, il est vrai.
Les avantages de la diversification
Un groupe diversifié a en principe un gros avantage : celui de la diversification, justement, qui permet de mitiger a priori le risque inhérent à chacune des activités du groupe. Entre autres parce que certains métiers peuvent être très rentables quand l'économie fonctionne bien, quand les affaires sont bonnes, et perdre de l'argent, ou en gagner très peu, dans les récession et/ou quand leurs marchés sont en crise (acier, pétrole, automobile, transport maritime, compagnies aériennes, etc…), alors que d'autres génèrent des chiffres d'affaires plus récurrents et ont des rentabilités plus stables dans le temps (agro-alimentaire, cosmétiques, pharmacie, etc….). Il est donc logique de construire des groupes dont le métier est de gérer un portefeuille d'activités, lequel portefeuille ne peut qu'être le plus résistant possible aux aléas de la conjoncture.
Mais cette logique imparable ne dispense pas l'investisseur d'être prudent quand il s'agit d'acheter les titres d'un groupe diversifié. Tout d'abord, et même si ça peut paraître paradoxal, parce qu'un investisseur doit se méfier des raisonnements purement financiers : sous la pression du marché, la direction du dit groupe peut sombrer dans le court-termisme, en se débarrassant par exemple au plus vite d'une activité momentanément en perte. Ce qui améliore instantanément la rentabilité, mais prive éventuellement l'actionnaire de gains futurs, quand cette activité sera redressée, ce qui est le cas le plus courant. Si la direction du Groupe Fiat avait écouté les analystes il y a dix ans, elle aurait bradé sa filiale Ferrari, laquelle s'est révèlée ensuite la plus formidable des pépites : CQFD.
Un risque plus élevé de mauvaises nouvelles
Ensuite, un groupe peut être atteint d'entropie (et sa direction éventuellement frappée de mégalomanie), et grandir rapidement par acquisitions, lesquelles se font souvent à des prix de plus en plus élevés, pour s'avérer ruineuses in fine. La Générale des Eaux, qui avait accumulé un grand nombre de filiales (plus de 6.000 sociétés consolidées) dans le BTP, dans l'immobilier, puis dans la communcation, et qui a finalement explosé en vol dans la crise boursière, et la récession des années 2000, est un exemple parfait à cet égard.
Enfin, il y aussi le simple fait que, plus un groupe compte d'activités variées, plus le risque de mauvaises nouvelles est important, et plus le risque d'accidents boursiers l'est aussi en conséquence. De fait, et ce n'est peut-être pas ce qu'elle fait de mieux, la Bourse a tendance à se méfier des groupes diversifiés, et le mot "conglomérat", qui est terme le plus approprié pour désigner ce type d'organisation, sonne souvent mal aux oreilles du marché. Qui a donc tendance à valoriser un conglomérat avec une décote, c'est-à-dire lui donner une capitalisation boursière inférieure à la somme des valeurs de ses fonds de commerce.
Ce qui est peut-être un peu injuste, même si le marché a toujours raison, c'est bien connu, car un conglomérat a une vraie rationnalité économique : il permet en principe une allocation optimale des capitaux de l'actionnaire, en remontant la trésorerie en excédent de filiales "vaches à lait" pour l'investir dans le développement des filiales à fort potentiels, tout simplement. Même si ce n'est pas toujours aussi simple que ça en a l'air, comme on peut s'en douter.
Un petit conglomérat efficace
Un conglomérat n'a de plus pas besoin d'être colossal pour bien fonctionner, bien au contraire : l'exemple de Lacroix, une ETI familiale basée à Nantes, qui a réalisé un chiffre d'affaires de 441 millions d'euros avec 4.000 salariés sur son dernier exercice clos fin septembre 2017, le montre bien. Lacroix opère trois activités bien distinctes : 1) les cartes électroniques, avec Lacroix Electronics (70% chiffre d'affaires), qui a comme clients les constructeurs automobiles, l'Aéronautique/Défense, l'électronique médicale, la domotique, etc., 2) la signalisation routière/urbaine et l'éclairage public, avec Lacroix City (21% chiffre d'affaires), qui travaille avec les villes et les départements, et, enfin, 3) les équipements de gestion de réseaux de Lacroix Sofrel (9% chiffre d'affaires) utilisés principalement par les compagnies des eaux.
Soit trois métiers bien différents, qui ont des fonctionnements bien différents : Lacroix Electronics travaille de toute éternité avec de faibles marges, qui sont le lot commun, voire la malédiction, du secteur de la sous-traitance électronique, Lacroix City est en perte depuis plusieurs années, le marché français de la signalisation routière ayant connu une crise sérieuse (cf aussi une autre PME cotée du secteur : Signaux Girod), et Lacroix Sofrel dégage par contre une très belle rentabilité, avec aussi une belle part de marché a priori.
Une marge opérationnelle en dessous de la moyenne
Ce qui fait que, l'un dans l'autre, Lacroix en tant que groupe a dégagé une faible rentabilité ces derniers temps, avec une marge opérationnelle nettement en dessous de la moyenne, y compris sur le dernier exercice. Même si celle-ci s'est nettement redressée avec les premiers effets de la réorganisation en profondeur de Lacroix City, et de meilleurs volumes, la bonne conjoncture aidant.
On peut remarquer cependant que Lacroix a toujours un bon bilan, c'est-à-dire avec un niveau très raisonnable de dette financière nonobstant ces années difficiles, et en amélioration d'un exercice sur l'autre, et qu'apparemment le groupe a financé sans problème sa restructuration. Ce qui semble logique, si l'on songe qu'il y a dans son périmètre au moins une filiale qui génère plus de liquidités que ce dont elle peut avoir besoin : Lacroix Sofrel, qui est très rentable, et que ces liquidités ont vraisemblablement bien servi ailleurs.
Ce fait n'a pas échappé aux investisseurs : le cours de Bourse a bien performé en 2017, soit +42%, et performe encore mieux depuis le début de l'année. Et pour cause : on peut penser que le redressement ne fait que commencer, puisque Lacroix City est presque remis à flot, puisque la conjoncture est plus porteuse, et puisque le groupe est, selon sa direction, bien positionné grâce à ses compétences en électroniques pour profiter des nouveaux marchés qui s'ouvrent : smart industries, smart environment, smart grids, etc…, et, surtout, smart mobility et smart cities dans la signalisation, l'activié qui n'allait pas bien, mais qui a éventuellement à nouveau un vrai potentiel.
Et l'exercice en cours commence plutôt bien, ce qui ne gâte rien : le chiffre d'affaires du premier trimestre clos fin décembre progresse de près de 10%. Pas mal, pour un conglomérat !
Jérôme Lieury - Analyste Senior - Olier Etudes & Recherche - Membre du Cercle des analystes indépendants - www.olier-etudes-recherche.fr