Track record en private equity : un premier quartile qui peut être un piège information fournie par Opale Capital 06/10/2025 à 16:46
Dans l'univers du Private Equity, le track record est souvent brandi comme le Graal. Appartenir au premier quartile, c'est-à-dire faire partie des 25% des fonds les plus performants sur un millésime donné, semble, sur le papier, un critère suffisant pour justifier une sélection. Mais à y regarder de plus près, cette métrique a beaucoup moins de pouvoir prédictif qu'il n'y paraît.
Sur les quarante dernières années, seuls 36% des fonds classés dans le premier quartile pour un millésime donné y sont restés pour le suivant (1). Ce qui signifie que 64% d'entre eux en sortent : une volatilité trop souvent sous-estimée. Et l'effet est encore plus prononcé pour les véhicules de plus grande taille : parmi les fonds dépassant les 2 milliards de dollars, moins d'un sur quatre parvient à se maintenir dans ce haut du tableau d'un millésime à l'autre (1). En clair, la performance passée ne garantit en rien une constance de résultat, surtout dans une industrie aussi cyclique, compétitive et dépendante du contexte macroéconomique.
Pour un sélectionneur de fonds rigoureux, se reposer sur un classement passé revient donc à faire à peine 36% du travail.
Dans un univers où l'opacité reste souvent la norme et où les promesses de performance abondent, savoir lire entre les lignes d'un track record est un exercice aussi délicat qu'essentiel. Ce n'est pas un luxe, c'est une condition sine qua non pour investir avec discernement en non coté. Toutes les performances passées ne se valent pas : certaines sont le fruit d'une expertise reproductible, d'autres d'un alignement providentiel de planètes… rarement reconductible.
Tout commence par un double diagnostic, qui distingue ce qui relève de l'environnement (les facteurs exogènes) et ce qui provient du fonds lui-même (les facteurs endogènes).
Les facteurs exogènes : le décor macro dans lequel le fonds a performé
Un fonds qui a affiché des multiples élevés entre 2012 et 2018 a-t-il réellement surperformé… ou simplement bénéficié d'un contexte ultra favorable ? Taux d'intérêt proches de zéro, abondance de liquidités, valorisations en hausse continue, croissance économique soutenue dans les économies développées : tous ces éléments ont servi de vent arrière à la majorité des fonds de buyout durant cette période. Mais la donne a changé. Dans un monde où les taux sont structurellement plus élevés, où la croissance est atone, les effets de levier plus coûteux et la géopolitique instable, il est légitime de se demander : cette stratégie est-elle encore pertinente ?
Il faut donc comparer les millésimes non pas en valeur absolue, mais dans leur contexte historique. Une performance de 2x en cinq ans peut être excellente dans un cycle adverse, mais médiocre dans une phase d'euphorie. La lecture brute des TRI et des multiples masque souvent la réalité du terrain. Le vrai enjeu, pour l'investisseur, est donc de juger dans quel monde la performance a été produite… et dans quel monde elle devra être répliquée.
Les facteurs endogènes : la mécanique de la performance
Une fois le décor macro posé, il faut se pencher sur le moteur. Quels leviers ont réellement permis de créer de la valeur ? Était-ce une croissance organique pilotée par l'équipe du fonds ? Des opérations de buy and build bien structurées ? Des réductions de coûts efficaces, une internationalisation maîtrisée, un repositionnement stratégique pertinent ? Ou bien un rachat à bas prix suivi d'un multiple expansion dû au marché ?
A voir : Découvrez l'offre BoursoFirst de private equity en direct avec Opale Capital
Et surtout, qui a pris ces décisions ? Quelle est la part d'individus clés dans le succès du fonds ? Dans une industrie où la rotation des talents est fréquente, l'absence de certains profils dans le millésime suivant peut faire toute la différence. On investit dans une équipe autant que dans une stratégie. Si les architectes de la surperformance passée ont quitté le navire, le track record devient une coquille vide.
L'art de lire entre les lignes du passé
Identifier ces mécanismes, et les démêler, demande est un travail d'artisan, voire d'enquêteur, nécessitant accès, méthode et expérience. C'est là que la vraie sélection de fonds prend tout son sens.
Cela implique une méthodologie rigoureuse en plusieurs dimensions :
Premièrement, une grille d'analyse précise, capable de disséquer chaque millésime, fonds par fonds, deal par deal. Quels types d'entreprises ? Quels niveaux d'endettement ? Quelles durées de détention ? Quelles marges d'amélioration opérationnelle ? On ne peut comparer que ce que l'on comprend dans le détail.
Deuxièmement, des échanges directs avec les dirigeants de participations : comprendre ce qu'un fonds fait vraiment une fois l'entreprise acquise. Le discours change souvent entre un deck de présentation et le vécu d'un CEO accompagné pendant cinq ans. Les témoignages de terrain révèlent les méthodes de travail réelles, les engagements tenus…
Troisièmement, des discussions avec les créanciers des deals - fonds de dette privée, banques senior, mezzanine - qui ont vu les fonds à l'oeuvre dans les bons comme les mauvais moments. Le comportement en situation de crise ou de sous-performance est un révélateur souvent plus pertinent qu'un joli multiple de sortie.
Enfin, parfois, des échanges avec les concurrents directs. Dans les secteurs les plus compétitifs, le regard de ceux qui ont perdu des deals ou observé les méthodes des autres fonds est précieux. Le Private Equity reste un petit monde, et les informations circulent : à condition de savoir les capter.
En définitive, faire une bonne sélection de fonds ne consiste pas à choisir ceux qui ont le mieux fait hier, mais ceux qui sont le plus capables de bien faire demain. Cela suppose de croiser les savoirs : financiers, sectoriels, humains. Cela exige une mémoire longue des cycles, une connaissance intime des équipes et des pratiques de place, et un sens critique affûté.
Et surtout, cela exige de ne pas croire, naïvement, que la performance est un acquis. Elle est toujours à reconstruire, et ce, à chaque millésime.
Autrement dit, la vraie sélection de fonds exige une immersion totale dans l'écosystème du Private Equity, bien au-delà des ratios bruts. Cela demande du temps, des accès, une mémoire longue des cycles, et une équipe d'analystes aguerris capables d'identifier ce qui relève du talent reproductible… et ce qui tient de la chance historique
(1) https://www.schroderscapital.com/en/global/professional/insights/is-there-persistence-in-private-equityreturns/