Les risques d'une erreur de politique monétaire montent pour la Fed information fournie par Reuters 01/08/2024 à 12:39
par Davide Barbuscia, David Randall et Matt Tracy
L'approche des premières baisses de taux aux États-Unis pose un nouveau problème pour les investisseurs: la Réserve fédérale (Fed) réussira-t-elle à assouplir sa politique monétaire à un rythme compatible avec un "atterrissage en douceur" qui demeure le principal scénario sur les marchés ?
Mercredi, à l'occasion, de la dernière décision de politique monétaire de la Fed, le président de l'institution, Jerome Powell, a remarqué que le Comité de politique monétaire était "de plus en plus confiant" dans le fait que la banque centrale pourrait baisser ses taux en septembre, si l'inflation continue de ralentir.
Les opérateurs de marchés estiment probable à 87% une baisse des taux de la Fed en septembre.
Tous les investisseurs ne se satisfont pas de ce pivot: certains observateurs estiment en effet que les taux ont été maintenus à un niveau élevé durant trop longtemps et que la politique monétaire restrictive risque d'étouffer la croissance.
A l'inverse, d'autres craignent qu'un assouplissement précipité ne fasse de nouveau surchauffer l'économie américaine, ce qui raviverait les pressions inflationnistes.
"Un atterrissage en douceur est encore possible (…) mais les risques sont à la hausse comme à la baisse. Un atterrissage en douceur ne se matérialise pas en attendant trop longtemps", estime George Catrambone, responsable de l'obligataire chez DWS.
TROP TARD?
La plupart des indicateurs, dont les données sur l'emploi, montrent que l'économie est demeurée robuste malgré les hausses de taux, qui ont atteint des niveaux records en plus de vingt ans. Le chômage progresse, néanmoins, et les responsables de politique monétaire cherchent désormais à éviter un ralentissement trop brutal, qui se matérialiserait par des destructions d'emplois.
"Des signaux d'un ralentissement apparaissent à la marge. La question est de savoir si ces signaux se transformeront en véritable récession", résume Peter Baden, responsable des investissements chez Genoa Asset Management.
Le rapport mensuel sur l'emploi pour le mois de juin, attendu vendredi, sera essentiel à la trajectoire future des taux. Le symposium de Jackson Hole, fin août, sera par ailleurs l'occasion pour la Fed de préciser sa perception de l'économie américaine.
Le risque évoqué par certains investisseurs est qu'un assouplissement monétaire ne mette trop de temps à se transmettre à l'économie, augmentant la probabilité d'une récession.
"Il y aura un effet retard en cas de baisse de taux, car une partie des mauvaises nouvelles sont déjà intégrées par l'économie. Même si la Fed baisse ses taux en septembre, cela ne sera peut-être pas suffisant pour corriger la trajectoire de l'économie d'ici 2025", explique Jack McIntyre, gérant de portefeuille chez Brandywine Global Investment Management.
Certains économistes estiment de fait que les dégâts sont déjà là: dans un éditorial à Bloomberg, l'ancien président de la Fed de New-York, Bill Dudley, a plaidé pour une baisse de taux dès juillet, soulignant que le rythme de progression du chômage présageait d'une récession proche.
BAISSES MOINS IMPORTANTES
D'autres observateurs s'inquiètent qu'une baisse des taux ne ravive les tensions inflationnistes. Un tel scénario compliquerait la tâche de la Fed, alors que les marchés prévoient 75 points de base d'assouplissement cette année, souligne Hans Mikkelsen, responsable de la stratégie crédit chez TD Securities.
"Powell a rappelé que les données d'inflation l'an dernier étaient aussi encourageantes, mais que l'inflation a rebondi" en 2024, ajoute le stratégiste.
Un cycle de baisse de taux de moindre ampleur qu'anticipé par les marchés pourrait limiter la rotation vers les petites valeurs et les titres profitant des baisses de taux, qui a débuté en juillet, relève Jack Janasiewicz, stratégiste de portefeuille chez Natixis Investment Managers.
Par ailleurs, la forte performance des actions américaines cette année peut faire craindre que l'essentiel des anticipations pour le cycle monétaire ne soit déjà dans les prix, ce qui limiterait les prochaines hausses.
Le S&P 500 a, en moyenne, progressé de 16,1% entre la dernière hausse de taux et la première baisse d'un cycle, selon les données de CFRA, mais l'indice ne progressait ensuite plus que de 4,8% sur les douze mois d'après une baisse. Le S&P 500 a gagné 16% en 2024.
Tony Rodriguez, responsable de la stratégie obligataire chez Nuveen, estime que le rendement du titre souverain à 10 ans devrait rester autour de 4% durant la première moitié de 2025, tandis que les valorisations sur les marchés action apparaissent "relativement élevées".
"Il n'y a pas beaucoup de nouvelles opportunités", conclut-il.
(Reportage Davide Barbuscia, David Randall et Matt Tracy, version française Corentin Chappron, édité par Kate Entringer)