Les pressions de Donald Trump sur la Fed annoncent-elles la fin du dollar ? information fournie par The Conversation 02/10/2025 à 09:20
Le président des États-Unis Donald Trump, multiplie les critiques contre la banque centrale, Federal Reserve, trop timorée à ses yeux. Derrière d'évidents conflits d'intérêt à court terme, Trump pourrait bien remettre en cause la crédibilité de la Fed, un des piliers de la puissance mondiale du dollar.
Depuis quelques semaines, la Maison Blanche intensifie ses critiques à l'encontre de la banque centrale des États-Unis (Federal Reserve, Fed). Ces remarques répétées suscitent des interrogations sur le respect de l'indépendance de la Fed et, plus encore, de fortes inquiétudes sur la stabilité macroéconomique et financière des États-Unis.
Les prises de position du président Trump sur la politique monétaire de la Fed ne sont pas nouvelles. Le 19 juillet 2018, il exprimait déjà son désaccord avec la politique des taux d'intérêt menée par la banque centrale. Il rompait ainsi avec la tradition qui voulait que l'exécutif s'abstienne de commenter afin de préserver l'indépendance de la Fed et de maintenir la confiance des marchés financiers. À l'époque, ses éclats semblaient surtout médiatiques. Mais aujourd'hui, Trump 2 paraît engager une remise en cause plus structurelle de l'architecture économique et financière, appelant à une attention particulière.
Stimuler la croissance à tout prix
Depuis son retour à la Maison Blanche, Trump exige une baisse des taux pour stimuler la croissance. Il intensifie ses attaques contre la Fed. Après avoir critiqué le maintien du taux directeur le 18 mars 2025, menacé de limoger Jerome Powell le 17 avril dernier, puis multiplié les insultes publiques, il a exigé le 20 août la démission de Lisa Cook, une des sept gouverneurs de la Fed. La nomination de nouveaux membres permettrait à l'exécutif de modifier l'équilibre des votes et d'infléchir la politique monétaire.
Le Federal Reserve Act de 1913 autorise la révocation d'un gouverneur « pour motif valable » (faute grave, manquement ou incapacité). Cette disposition, jamais utilisée, reste juridiquement incertaine. La tentative de destitution, rejetée en première instance, le 16 septembre 2025, a donc suscité de fortes inquiétudes des économistes, médias et marchés financiers sur l'indépendance de la Fed et la politisation de la politique monétaire.
Or, l'indépendance des banques centrales est la clé de voûte de la stabilité monétaire. Le Système de la réserve fédérale, créé en 1914 pour répondre aux paniques bancaires du XIXe siècle, a été conçu pour protéger la banque centrale des pressions politiques. Cette autonomie a été consolidée par le Banking Act de 1935 et par l'accord de 1951 avec le Trésor.
Outil de lutte contre l'inflation
Cette indépendance est aussi un instrument essentiel de lutte contre l'inflation. Sans elle, un gouvernement pourrait chercher à financer ses déficits en poussant la banque centrale à créer davantage de monnaie ou à abaisser ses taux. Ces politiques stimuleraient artificiellement la demande, gonfleraient la masse monétaire et provoqueraient une hausse des prix, entraînant in fine une dépréciation de la monnaie.
L'histoire a montré les effets d'un manque d'indépendance des banques centrales. Dans l'Allemagne des années 1920, la Reichsbank, sous contrôle de l'État, finançait déficits et réparations de guerre par création monétaire, provoquant l'hyperinflation de 1923. On retrouve des mécanismes similaires au Zimbabwe (2007–2009), au Venezuela (2010–2020) et, plus récemment, en Turquie, où les pressions politiques sur la banque centrale ont alimenté une inflation durable.
Les bases académiques de cette indépendance sont en revanche plus récentes. Dans les années 1970, Kydland et Prescott (1977), puis Barro et Gordon (1982), ont montré que, sans autonomie ni mandats crédibles, les politiques monétaires perdent leur efficacité et nourrissent des anticipations inflationnistes persistantes.
L'importance de la crédibilité
Les agents économiques tiennent compte du degré d'indépendance de la banque centrale. Quand celle-ci perd en crédibilité, ils doutent de sa capacité à respecter son mandat – maintenir une inflation modérée, fixée à 2 % pour la Fed. Résultat : face à un déficit budgétaire croissant, ils s'attendent à plus d'inflation, augmentent leurs prix par anticipation et enclenchent un cercle autoréalisateur qui alimente la hausse générale des prix.
De nombreuses études empiriques confirment le lien entre indépendance des banques centrales et faible inflation, comme l'ont montré Grilli, Masciandaro et Tabellini (1991), Alesina et Summers (1993) ou encore Bodea et Hicks (2015). Et la question reste d'actualité. En 2024, le Fonds monétaire international (FMI) a publié un nouvel indice mesurant l'indépendance des banques centrales, qui devrait alimenter de nouvelles recherches et débats.
En résumé, sans indépendance, une banque centrale perd sa crédibilité – et, avec elle, sa capacité à maîtriser l'inflation.
Baisse des taux
Le souhait du président Trump de voir baisser les taux d'intérêt directeurs s'est en partie concrétisé, le 17 septembre 2025 (baisse des taux d'un quart de point), Powell répondant ainsi aux mauvais résultats du marché du travail américain (le chômage atteignant 4,3 % en août 2025, son plus haut niveau depuis octobre 2021, BLS, 2025). Cette baisse des taux directeurs sur fond de ralentissement économique est en accord avec le double mandat de la Fed ; c'est-à-dire, maîtriser l'inflation et favoriser une économie proche du plein emploi.
Mettra-t-elle fin aux attaques contre l'indépendance de la Fed ? Peu probable. En effet, en juillet, le président annonçait vouloir une baisse de 300 points de base (soit passer d'un taux directeur de 4 % à 1 %). Une réduction drastique jamais mise en œuvre en une seule fois et historiquement intervenue seulement lors de périodes de profondes récessions, comme, par exemple, en 2007-2008.
Un lien dangereux entre l'exécutif et la Fed
L'indépendance de la Fed pourrait également être fragilisée par la récente nomination par Trump de Stephen Miran (actuel président du Conseil des conseillers économiques, Council of Economic Advisers, CEA) au siège vacant du Conseil des gouverneurs de la banque centrale. Celui-ci a indiqué qu'il ne démissionnerait pas de ses fonctions au CEA, mais prendrait un congé sans solde – créant ainsi un lien institutionnel inédit entre la Fed et l'exécutif. De par la loi, un gouverneur, nommé par le président et confirmé par le Sénat, ne peut occuper un autre poste dans l'appareil de l'État, évitant ainsi des conflits d'intérêt.
Par ailleurs, Miran, comme Trump, défend une politique d'affaiblissement du dollar, qualifiée d'« accord de Mar-a-Lago ». Une baisse significative des taux directeurs entraînerait une diminution des rendements de la dette souveraine américaine et de sa valeur en devises étrangères réduisant ainsi son attractivité pour les investisseurs étrangers alors que 30,2 % du stock de la dette émise par le Trésor américain est détenu par des investisseurs internationaux, (Congressional Research Service).
Un système financier en voie de fragilisation
Outre sa mission de politique monétaire, la Fed est également chargée de veiller à la stabilité financière, de superviser le secteur bancaire et de garantir le bon fonctionnement des systèmes de paiement. Or, plusieurs annonces de la Maison Blanche suscitent des inquiétudes quant à la solidité de l'architecture financière internationale et à la stabilité du système bancaire américain (CEPR, 2025).
Le 18 février 2025, un décret présidentiel a lancé une refonte des fonctions de réglementation et de supervision bancaires exercées par la Fed (Maison Blanche, 2025). Un assouplissement de ces réglementations pourrait conduire les banques à pratiquer des ratios de levier (actifs totaux rapportés au capital) trop élevés, comme avant la crise de 2008. La stabilité du système bancaire se verrait compromise.
En août 1971, lorsque le président Nixon annonça la suspension de la convertibilité du dollar en or, son secrétaire au Trésor John B. Connally prononça cette phrase restée célèbre :
« Le dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème. »
Les décisions récentes de la Maison Blanche ravivent l'actualité de cette déclaration. Le dollar joue un rôle primordial dans l'architecture financière internationale. Si ce rôle confère aux États-Unis un « privilège exorbitant » (Eichengreen, 2011), il repose sur la confiance internationale dans la stabilité de l'économie et des institutions américaines.
Une intensification des tensions commerciales et financières pourrait éroder cette confiance, incitant banques centrales et investisseurs internationaux – notamment la Chine – à diversifier davantage leurs réserves de change et investissements vers d'autres devises ou monnaies numériques. Un tel mouvement fragiliserait le dollar. Il deviendrait alors aussi un problème américain.
Auteurs:
Vanessa Strauss-Kahn
, Professeure d'économie, ESCP Business School
Sara Bertin , Chercheuse associée, ESCP Business School
Cet article est issu du site The Conversation