« Le casse-tête des chiffres chinois » (Akiko Suwa-Eisenmann du Cercle des économistes)
information fournie par Boursorama 31/08/2015 à 10:46

La Chine est un pays en transition, y compris pour ses normes comptables.

Depuis quelques mois, le marché est déboussolé par le ralentissement des indicateurs économiques de la Chine et le dévissage de la bourse de Shanghai. Pendant ce temps, à Pékin, le gouvernement continue d'annoncer une croissance sur un rythme annuel stable de 7%. Qui faut-il croire ?

La Chine est un pays en transition, y compris pour ses normes comptables. L'institut statistique chinois, un organisme non indépendant, n'a pas adopté encore toutes les pratiques de la comptabilité publique des pays industrialisés démocratiques. Depuis les années 1990, l'institut a revu plusieurs fois la définition des grandeurs économiques, ce qui introduit des incohérences lorsqu'on veut calculer des taux de croissance.

Par exemple, les services ont longtemps été mal mesurés en Chine, et ce n'est qu'à partir de 1992 que les services immobiliers et financiers ont été inclus dans le PIB. L'institut ne publie pas non plus toutes ses sources, en particulier, l'indice de prix qui lui permet de calculer le déflateur du PIB, indispensable pour estimer la croissance réelle (celle qui importe, car corrigée de l'inflation). En outre, le PIB national chinois est bien plus faible que la somme des PIB provinciaux : publier de bons chiffres locaux facilite la promotion des fonctionnaires ou l'attribution d'aides publiques.

Il est donc difficile de se faire une idée exacte et cohérente dans le temps, des performances chinoises. Cependant, ces imperfections auraient pour résultat au maximum un taux de croissance supérieur ou inférieur d'un point au taux officiel : une marge importante certes, mais pas catastrophique, d'autant plus que l'erreur serait constante au cours du temps.

Il faut relativiser le dévissage de la bourse de Shanghai en août. La capitalisation boursière en Chine reste limitée comparée aux autres places financières.  La grande masse des entreprises, en dehors des entreprises publiques ne passent ni par la bourse, ni par les banques (celles-ci étant tenues par de règles très strictes de ratio des prêts sur les dépôts et de taux d'intérêt). Les entreprises privées se financent donc auprès d'institutions informelles, plus ou moins légales, qui prêtent à des taux très élevés.

Ce système bancaire souterrain est affecté par le ralentissement de l'économie chinoise, mais ni au même rythme ni avec la même ampleur que la partie émergée de l'iceberg, la bourse de Shanghai. Un autre indicateur est souvent avancé comme un signe supplémentaire de la dégradation de la situation : la montée de la part de créances douteuses dans le secteur bancaire (2% des prêts). Mais cette part atteignait 9% il y a 10 ans.

La croissance chinoise va ralentir. Paul Krugman qualifiait le miracle asiatique de 1% d'inspiration et 99% de transpiration. La transpiration, c'est le passage d'une main d'œuvre  jusque-là sous-employée dans l'agriculture vers des activités plus productives dans l'industrie et dans les services. On arrive progressivement au bout de ce modèle.

Mais il reste encore l'autre composante du miracle, l'inspiration, c'est-à-dire la productivité des facteurs de production, poussée par un investissement massif dans la formation et la recherche. Encore faut-il que le Parti communiste  libère les barrières au développement du secteur privé.

Akiko Suwa-Eisenmann

Akiko Suwa-Eisenmann est chercheuse à l’Ecole d’économie de Paris et directrice de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra).

Ses principaux domaines d’expertise sont le développement ; le commerce international ; la répartition des revenus et du patrimoine.

Le Cercle des économistes a été créé en 1992 avec pour objectif ambitieux de nourrir le débat économique. Grâce à la diversité des opinions de ses 30 membres, tous universitaires assurant ou ayant assuré des fonctions publiques ou privées, le Cercle des économistes est aujourd’hui un acteur reconnu du monde économique. Le succès de l’initiative repose sur une conviction commune : l’importance d’un débat ouvert, attentif aux faits et à la rigueur des analyses. Retrouvez tous les rendez-vous du Cercle des économistes sur leur site .