La fièvre de l’or, crise monétaire ou bulle financière ?
information fournie par Le Cercle des analystes indépendants 03/11/2025 à 07:29

Sur 10 ans, le cours de l'or a monté de 204% soit 11% par an, contre 13.6% pour le SP500 et 11% pour le MSCI World. (Crédits: Adobe Stock)

Le cours de l'or a monté de 40% depuis le début de l'année. Il a cependant fortement rebaissé depuis quelques jours. Est-ce le début de la fin d'une bulle spéculative, ou une simple pause dans le retour de la relique barbare (selon les mots de Keynes) ? Faut-il voir dans cette hausse de l'or un canari dans la mine annonçant un coup de grisou financier ? Ou peut-on expliquer cette fièvre haussière par une bulle financière crée par la Chine ? Tel est l'objet de cette note

Comment a performé l'or face aux autres actifs financiers depuis 10 ans ?

Sur 10 ans, le cours de l'or a monté de 204% soit 11% par an, contre 13.6% pour le SP500 et 11% pour le MSCI World.

Sur 5 ans, le cours de l'or a monté de 113% soit 16% par an, contre 16.8% pour le SP500 et 14.8% pour le MSCI World.

Sur 3 ans, le cours de l'or a monté de 107% soit 27% par an, contre 16.8% pour le SP500 et 16.5% pour le MSCI World et 21.5% pour le Eurostoxx 50.

Depuis début 2025,  le cours de l'or a monté de 35%, contre 5.3% pour le SP500 et 7.3% pour le MSCI World et 16.3% pour le Eurostoxx 50.

Or, monnaie ultime ou instrument de spéculation ?

Quand on étudie l'histoire du marché de l'or, on a la chance d'avoir le plus ancien et l'ultime actif financier. L'or a toutes les qualités requises pour le statut de monnaie. Son stock (210.000t) est énorme par rapport à la production annuelle des mines d'or (autour de 3000t/an). Sa valorisation (autour de 21 tn USD) reste cependant loin derrière celle des actions mondiales (autour de 130 tn USD) ou des obligations mondiales ou encore de la massemonétaire.

Quand on regarde l'histoire de l'or, on note deux types de période de hausse. Dans les périodes de fuite devant la monnaie, on a une fuite de l'épargne dans cette devise utile. Ainsi, la crise de 1929 a mené à une explosion de l'or et sa démonétisation en 1933 par Franklin Roosevelt. La banqueroute de Law en 1721 a permis un enrichissement majeur de la famille royale (Condé et Conti) au détriment des spéculateurs. L'effondrement de Bretton Woods à la suite de la conversion en or de la Banque de France menée par Jacques Rueff sous le Général de Gaulle s'est aussi traduite par une longue période d'explosion des cours de 1970 à 1990.

Cours de l'or en USD depuis 1920

Source : Bloomberg

L'or, un actif d'avenir ou une relique barbare ?

Sur la base de ces performances récentes, un investisseur pourrait penser qu'il doit investir une part importante de ses actifs financiers sur l'or. Nous sommes d'un avis totalement opposé. Pour nous, la hausse de l'or depuis 2000 doit être resituée sur un horizon très long terme. De fait, l'or est le plus ancien actif financier puisqu'il a près de 3000 ans d'histoire en tant que monnaie. Il est clair que sur de longues périodes, l'or a de facto une rentabilité réelle quasi nulle. De fait, l'or s'ajuste à long terme sur la croissance globale des prix comme toutes les autres matières premières.

La très forte hausse depuis 2000 doit être recadrée par la compression des cours sur les décennies qui l'ont précédé. De fait, sous les années Clinton et le début de la mondialisation, les USA ont favorisé la stagnation des cours en ouvrant au marché du repo leur stock d'or gigantesque de 8 000t. Ceci a permis aux mines d'or (à commencer par American Barrik) de couvrir leur production future et de garder des prix de vente élevés même dans la baisse des cours. C'était la doctrine Mundell, le Secrétaire du Trésor de Bill Clinton.

Entre 2004 et 2009, les banques centrales européennes ont pris le relai avec des ventes d'or directes de la Banque d'Angleterre, la Banque Nationale de Suisse et la France. Seules la Bundesbank et la Banque d'Italie ont refusé de participer…

A partir de 2008 et le crash Lehman Brother, la Chine prend sans doute un rôle moteur à l'achat. La Suisse joue alors un rôle pivot en tant que place tournante du fait de l'importance de son industrie de refonte des lingots et aussi de son grand secret bancaire.

L'Inde a rejoint la Chine avec la hausse de sa prospérité et l'addiction millénaire des Indiens pour la relique barbare. Les Indiens ont un système financier délétère et ont toujours à juste titre privilégié l'épargne sous forme de bijoux en or.

On est ainsi retombé dans les pages sombres du déclin de l'Empire Romain. Keynes a analysé ce déclin politique et militaire par un déficit structurel de la balance des paiements de l'Empire du fait de ses importations de soieries et autres produits de luxe de Chine et Inde conduisant à une hémorragie des réserves d'or et d'argent de l'Empire. La production minière Européenne était insuffisante pour compenser cette baisse de la masse monétaire. Il a fallu la découverte de l'or d'Amérique du Sud et des mines fabuleuses de Potocki au Pérou pour relancer la croissance européenne et ouvrir les voies de la Renaissance.

La Chine gagnera-t-elle la guerre monétaire avec les USA via ses stocks d'or ?

La Chine importe actuellement des montants importants d'or principalement via la Suisse. Elle affiche des réserves de sa banque centrale relativement faible, mais ces chiffres sont sans doute cachés et il est possible que la Chine soit déjà le 2e détenteur d'or au monde derrière les USA.

L'or, un actif financier encore relativement peu important.

Selon les estimations du World Gold Council (WGC) (données 2024–2025) : environ 210 000 tonnes d'or ont été extraites depuis le début de l'histoire humaine. La valeur de cet or est d'environ 21 tn EUR. On peut comparer ce montant avec la capitalisation boursière mondiale (autour de 127 tn USD) dont 53 tn aux USA, 18tn en Europe, 12tn en Chine, 7tn au Japon.

Si on rassemblait tout cet or en un seul cube, il mesurerait environ 22 mètres de côté — soit la taille d'un petit immeuble de 7 étages.

Quelle est la répartition approximative du stock mondial d'or ?

Bijoux 46% soit 96 000 t principalement en Inde, Chine et Moyen-Orient, Investissements privés 22% soit 46 000 t, principalement dans les pays occidentaux, réserves officielles 17% soit autour de 37 000 t, Or industriel 15% soit 31.000t.

Quelle est la production minière mondiale annuelle ?

Elle est estimée à environ 3 000 à 3 500 t d'or. Les principaux producteurs sont la Chine, la Russie, l'Australie le Canada et les USA.

Quelle est la structure du commerce mondial de l'or ?

Importations d'or (en tonnes) par pays pour 2024 : Suisse 2 213 t, Chine 1 383 t, Inde 802 t. On voit ainsi la triade Suisse (hub), Chine, Inde, qui domine totalement les importations d'or mondiale. La Chine a importé autour 800t d'or monétaire sur les dernières années. En 10 ans, elle a ainsi pu accumuler un montant égal au stock des USA a fortiori si on rajoute la production minière chinoise.
Demande de bijoux en or  : Inde 563 t en 2024, Chine 479 t, UAE 40  t.

Quelles sont actuellement les réserves d'or des banques centrales ?

Les réserves d'or des banques centrales sont : États‑Unis : ~ 8 133 tonnes.  Allemagne : ~ 3 350 tonnes. Italie : ~ 2 452 tonnes. France : ~ 2 437 tonnes. Russie : ~ 2 335 tonnes. Chine : ~ 2 299 tonnes.
Mais on peut penser que la Chine a des réserves bien supérieures si on se base sur les statistiques d'exportation de la Suisse. De fait, la Chine importe autour de 2 000t d'or par an de la Suisse. Certes, une part est pour la bijouterie, mais le solde est probablement sous-estimé.

Pourquoi les banques centrales ne vendent pas d'or ?

On est face à un paradoxe étonnant. Les banques centrales européennes ont vendu de l'or entre 2004 et 2009 sur des cours beaucoup plus bas. Mais rien n'est fait sur les cours actuels qui semblent pourtant largement surévalués.
Cette question touche à un épisode célèbre (et souvent critiqué) de l'histoire monétaire britannique. Le Royaume Uni a vendu 395 t d'or entre juillet 1999 et mars 2002 soit sur des cours extrêmement bas. C'est Gordon Brown alors Chancelier de l'Échiquier qui a pris cette décision. Le prix moyen de vente a été 275 USD l'once contre un cours actuel de 4000 USD. Le montant de la vente a été de 3.5 Mds USD contre une valeur actuelle autour de 40 Mds EUR !

Le Central Bank Gold Agreement (CBGA), ou Accord des banques centrales sur l'or, est un accord conclu entre plusieurs grandes banques centrales européennes pour encadrer leurs ventes d'or et préserver la stabilité du marché de l'or. Avant cet accord (dans les années 1990), plusieurs banques centrales européennes vendaient de grandes quantités d'or sans coordination, ce qui faisait baisser fortement le prix de l'or et créait de l'instabilité sur les marchés. Cet accord limitait les ventes annuelles à environ 400/500 t. Depuis 2014, plus de limite n'est formalisé.

Le cas de la BNS (Banque Nationale de Suisse). Jusqu'à la fin des années 1990, l'or représentait une part très importante des réserves de la BNS. Mais après la révision de la Constitution fédérale suisse en 1999, le franc suisse n'était plus adossé à l'or. Elle a ainsi vendu environ 1 300 t entre 1999 et 2005 sur un stock initial de 2 500 t (250 Mds EUR sur les cours actuels). Elle a vendu à nouveau 250  t entre 2007 et 2008. Il lui reste environ 1 000 t d'or. Elle a eu un manque à gagner sur les 1 700 t vendues sans doute de plus de 100 Mds EUR.

Plutôt que de vendre, la Bundesbank a mené à partir de 2013 un vaste programme de rapatriement de son or stocké à l'étranger : Une partie de son or détenu à New York et Paris a été rapatriée à Francfort. Objectif atteint en 2017, avec plus de 50 % des réserves désormais stockées en Allemagne. Ceci a pu aussi impacter à la hausse le marché de l'or en limitant l'accès au marché du repo des stocks.

La Banque d'Italie n'a pas vendu son or même durant la crise de l'Euro. L'ancien gouverneur de la Banque d'Italie, Mario Draghi (avant de devenir président de la BCE), avait résumé cette position en disant : « L'or est une réserve de valeur qui n'est la dette de personne. »

Vente d'or, le cas de la France

Entre 2004 et 2009, le gouverneur de la Banque de France était Christian Noyer. Pendant cette période, c'est donc sous sa gouvernance que la Banque de France a procédé aux ventes d'or (environ 500 tonnes entre 2004 et 2009), dans le cadre des accords de Washington sur l'or et du Central Bank Gold Agreement (CBGA), coordonnés entre plusieurs banques centrales européennes. La moyenne sur la période 2004–2009 : environ 666 $ l'once. En 2025, l'or vaut environ 4 000 $ l'once (soit plus de 100 000 EUR le kilo). Autrement dit, le prix de l'or a été multiplié par 5 depuis les ventes de la Banque de France.

La Banque de France détient 2 436,8 tonnes d'or depuis 2009. En fonction du cours actuel, leur valorisation dépasse ≈ 243 milliards d'euros. On peut s'étonner que la plus-value ainsi réalisée ne soit pas imputée au déficit de l'État dans le cadre de la réduction de la dette.

Entre 2004 et 2009, le directeur du Trésor en France (au sein du ministère de l'Économie et des Finances) était Xavier Musca. Il occupe ce poste jusqu'en 2009, avant d'être remplacé par Ramon Fernandez. C'est le gouvernement Raffarin (suivi par de Villepin puis François Fillion) de 2004 qui a initié ces ventes avec Hervé Gaymard comme Ministre des Finances. Puis Thierry Breton, Jean Louis Borloo ont validé cette politique. Christine Lagarde y a mis fin.

Conclusion

Notre étude montre l'importance des banques centrales dans le marché de l'or. Entre 2000 et 2009, les banques centrales européennes ont freiné la hausse des cours en vendant des stocks importants. Depuis 2020, la Chine semble importer des montants importants via la Suisse.
Nous sommes très réservés sur un marché qui nous semble proche d'une bulle financière créée par la Banque de Chine. Un retournement violent du marché reste toujours possible vu la sur-évaluation manifeste de l'or par rapport à ses fondamentaux long terme.