La CJUE encadre les dividendes versés par les gérants à leurs salariés information fournie par Agefi Asset Management 10/08/2022 à 10:15
(NEWSManagers.com) - Les sociétés de gestion domiciliées dans des pays
membres de l’Union européenne vont devoir y réfléchir à deux fois avant
de verser des dividendes à leurs gérants de fonds d’investissement et
autres employés qui seraient aussi actionnaires de leurs structures.
Saisie à titre préjudiciel par la justice
hongroise, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a, dans un
arrêt publié lundi 1er août, jugé que dans certains cas, les
dividendes versés aux salariés actionnaires des sociétés de gestion
européennes, visant en particulier ceux qui ont la main sur la gestion
de fonds, pouvaient relever des dispositions encadrant les politiques et
pratiques de rémunération des gestionnaires de fonds d’investissement
traditionnels (OPCVM) et alternatifs (FIA) en Europe.
Les dispositions européennes en vigueur prévoient
que les pratiques de rémunération des gestionnaires soient compatibles
avec une gestion saine et efficace des risques, la favorisent et
n’encouragent pas des prises de risques nuisibles aux intérêts de fonds
OPCVM ou FIA gérés par leur société et à ceux des investisseurs de ces
fonds. Elles ne doivent également pas faciliter le contournement des
exigences découlant de ces dispositions.
Or, dans le cas analysé par la CJUE,
la Banque nationale de Hongrie soupçonnait une petite société de
gestion locale de les avoir allègrement contournées en distribuant à ses
salariés actionnaires, de manière directe ou indirecte, des dividendes
atteignant des montants respectivement 39 et 11 fois supérieurs à leurs
rémunérations déclarées en 2016 et 2017.
Risques et dividendes ne font pas bon ménage
En clair, selon l’arrêt de la Cour, si la politique
de versement de dividendes d'une société de gestion incite les salariés
actionnaires à prendre des risques pour faire grimper le montant des
dividendes qu’ils percevront du gestionnaire en tant qu'actionnaires,
alors les dispositions européennes en matière de pratique de
rémunération des gestionnaires doivent s’appliquer.
Pour cela, il faut démontrer qu’un salarié
actionnaire d’une société de gestion ait été incité à prendre des
risques potentiellement « nuisibles » aux fonds gérés par sa société et à
leurs investisseurs pour que ces fonds réalisent les bénéfices les plus
élevés à court terme dans l’objectif de faire grimper les bénéfices de
sa société et par conséquent, les montants qui lui sont versés au titre
des dividendes en sa qualité d’actionnaire de la société.
« Tel serait notamment le cas si une commission
de résultat était versée par l’OPCVM ou par le FIA à la société
concernée dès le dépassement d’un rendement cible durant une période de
référence donnée et si cette commission était redistribuée, en tout ou
en partie, par cette société, sous forme de dividendes, aux employés
concernés ou aux sociétés contrôlées par ceux-ci, indépendamment des
résultats réalisés par l’OPCVM ou le FIA postérieurement à cette
période, et, en particulier, des pertes encourues par l’OPCVM ou le
FIA », précise l’arrêt de la CJUE. Or, c’est un modèle que l’on retrouve fréquemment dans l’univers de la gestion d’actifs.
L’institution souligne cependant que d’autres
éléments sont à vérifier. Parmi eux figurent notamment l’ampleur et le
type des participations détenues par les employés concernés, les droits
de vote qui y sont attachés, la politique et le processus décisionnel de
distribution des bénéfices de la société ainsi que le caractère « éventuellement modeste, au regard des services professionnels rendus » du montant de la rémunération fixe versée aux employés.
La Cour statue que la seule circonstance que les
bénéfices d’une société de gestion soient influencés par les bénéfices
réalisés par les OPCVM et FIA qu’elle gère « ne saurait en tant que telle suffire »
à considérer que ses employés se risqueraient à prendre des décisions
nuisant à la gestion saine et équilibrée des fonds et aux intérêts des
investisseurs de ces fonds.
Pas de remise en cause du droit de propriété
Ces dividendes ne sont pas versés en contrepartie
de services rendus par un salarié actionnaire mais en vertu du droit de
propriété du salarié sur les actions de la société qu’il possède. Sur ce
point, la Cour estime que son interprétation des textes européens «
n’a pas pour effet de remettre en cause le droit de propriété des
employés concernés sur les actions de la société pour laquelle ils
travaillent et n’est, dès lors, pas constitutive d’une privation de
propriété ». Elle concède néanmoins qu’elle peut porter atteinte à
l’exercice du droit de propriété et, en particulier, à la possibilité
pour les salariés actionnaires de tirer profit de cette propriété.
Mais pour l’institution judiciaire européenne, les
limitations éventuelles au droit des actionnaires qui découleraient de
son interprétation « répondent à des objectifs d’intérêt général
reconnus par l’Union, à savoir la protection des investisseurs et la
stabilité du système financier, au regard desquels elles apparaissent
proportionnées ».
Aussi, rappelle la CJUE, il doit être « évité » que
la rémunération variable des salariés actionnaires de sociétés de
gestion soit versée au moyen d’instruments ou de méthodes qui facilitent
le contournement des exigences des directives encadrant les politiques
et les pratiques de rémunération.