Jackson Hole : les banques centrales entrent dans une nouvelle ère de défis contradictoires
information fournie par TRIBUNE LIBRE 20/08/2025 à 08:49

Jerome Powell, le président de la Fed (Crédits: Federal Reserve)

Par Andrew Jackson, Responsable des Investissements, Vontobel


Le très attendu rassemblement annuel des banquiers centraux à Jackson Hole cette semaine se déroule dans un contexte marqué par des défis nettement différents et uniques en fonction des régions.

Alors que les éditions précédentes du symposium se concentraient sur les défis communs auxquels les banques centrales sont confrontées, tels que l'assouplissement quantitatif (Quantitative Easing) et le soutien économique lié à la pandémie, la réunion de cette année se déroule dans un contexte très différent. Les banques centrales se retrouvent désormais à naviguer dans une nouvelle ère, où les politiques monétaires joueront un rôle encore plus crucial dans les mois à venir.

Cette dynamique est particulièrement évidente pour les grandes banques centrales telles que la Réserve fédérale (Fed), la Banque centrale européenne (BCE), la Banque d'Angleterre (BoE), la Banque nationale suisse (BNS) et la Banque du Japon (BoJ). Chaque institution est confrontée à des pressions économiques distinctes, rendant leurs tâches particulièrement complexes. Parmi elles, la BCE semble être dans la position la plus favorable, ayant réalisé des progrès significatifs vers tous ses objectifs, y compris l'atteinte du taux neutre, comme l'a reconnu la présidente Christine Lagarde. Cela contraste avec d'autres banques centrales, qui restent hésitantes à discuter de leur taux neutre.

La BCE a souligné qu'elle avait un besoin limité d'agir davantage, sauf si l'économie de la zone euro se détériorait plus que prévu. Si la croissance économique atteint 1 % l'année prochaine, que l'inflation se stabilise autour de 2 % (actuellement faible) et que la situation tarifaire ne s'aggrave pas, il est peu probable que la BCE prenne des mesures politiques. Cependant, si les conditions se détériorent, la BCE pourrait envisager de descendre temporairement en dessous du taux neutre pour préserver sa souplesse politique. Ce scénario pourrait se concrétiser l'année prochaine si la croissance économique dans des pays comme l'Allemagne et la France ne répond pas aux attentes. La BCE surveillera également de près les actions de la Fed, car le rythme des baisses de taux aux États-Unis pourrait influencer ses propres décisions politiques.

Pendant ce temps, la Fed fait face à une route particulièrement difficile. Les pressions politiques augmentent, avec la Maison Blanche plaidant pour des baisses de taux et la possibilité de la nomination d'un nouveau président de la Fed plus aligné sur l'agenda économique du président Trump. La Fed devra également gérer l'impact des tarifs douaniers, qui sont actuellement absorbés par les importateurs américains mais devraient commencer à affecter les consommateurs début de 2026. Bien que les données sur l'inflation de juillet n'aient pas encore reflété les pressions liées aux tarifs, la flambée des prix de gros aux États-Unis la semaine dernière indique que les effets commencent à se répercuter sur l'économie. Avec des signes de surchauffe dans l'économie américaine, nous prévoyons que l'inflation aux États-Unis pourrait atteindre 3,5 % d'ici le milieu de l'année prochaine. Par conséquent, la Fed devrait avancer avec prudence, en mettant en œuvre deux baisses de taux cette année à partir de septembre, suivies de trois baisses supplémentaires en 2026.

La BNS est confrontée à ses propres défis, alors que les tarifs américains de 39 % sur la plupart des biens devraient déjà avoir un impact sur l'économie suisse, ce qui pourrait entraîner une nouvelle contraction de la croissance l'année prochaine et accentuer les pressions sur l'emploi. Dans le même temps, l'inflation en Suisse est restée proche de zéro cette année, mais les chiffres récents ont surpris à la hausse, incitant la banque centrale à examiner attentivement ses décisions de politique monétaire. Avec un taux directeur à zéro depuis juin, la BNS dispose d'une marge de manœuvre limitée et pourrait envisager une baisse de 0,25 % en territoire négatif d'ici la fin de l'année ou au début de l'année prochaine.

La BoJ est confrontée à la tâche délicate de prévenir une liquidation du carry trade, un défi qui exige une gestion prudente. Cependant, selon nous, c'est probablement la BoE qui fait face au plus grand défi parmi les banques centrales mentionnées. La BoE est profondément préoccupée par la fragilité des dynamiques fondamentales du marché britannique. D'un côté, le gouverneur Andrew Bailey et son équipe craignent que ne pas réduire les taux assez rapidement puisse freiner la croissance économique ; de l'autre, ils restent vigilants face aux pressions inflationnistes, car l'inflation au Royaume-Uni est loin d'être maîtrisée.

Les défis variés auxquels chaque institution est confrontée illustrent la complexité du paysage économique mondial actuel. Peut-être plus que jamais cette année, les décisions prises dans les mois à venir seront déterminantes pour façonner la trajectoire des économies respectives.