Investissements ISR : zéro carbone, vraiment ? information fournie par TRIBUNE LIBRE 02/02/2021 à 12:00
Tribune libre. Par Manuel Coeslier, gérant de la stratégie Climate Ambition chez Mirova et membre du Groupe d'Experts Techniques (TEG) sur la finance durable de la Commission européenne.
La notion « d'émissions nettes de carbone » dans les portefeuilles est complexe. De plus en plus de gérants d'actifs et d'entreprises communiquent sur le "zéro carbone" ou la "neutralité carbone" - ce sont des objectifs équivalents - à un certain horizon de temps: l'entreprise s'engage à être neutre en carbone ou à atteindre le zéro carbone en 2030 par exemple.
Ces affirmations reposent presque systématiquement sur une logique de compensation : l'entreprise calcule son empreinte carbone et la "compense" en achetant des crédits carbone, ce qu'on appelle aussi la compensation carbone. Financer la réduction des émissions de carbone hors de l'entreprise n'est cependant pas équivalent à réduire les émissions dont l'entreprise est directement et indirectement responsable. La neutralité carbone ou le "net zéro" n'est de façon certaine qu'une seule chose : un état - futur - de la planète où, au niveau mondial, les émissions totales de gaz à effet de serre (GES, exprimées en CO2 équivalent) dans l'atmosphère sont absorbées par les puits de carbone. En tant qu'équilibre global, un tel état est donc un état auquel chacun peut – doit – contribuer plutôt qu'un état individuel que chacun devrait atteindre indépendamment. Le fait de produire de l'électricité - même 100 % renouvelable - impliquera toujours des émissions nettes positives de carbone, pourtant parmi les futurs mondes "net zéro" possibles, tous incluent une production d'électricité considérablement décarbonée pour alimenter des biens et des services beaucoup plus efficaces sur le plan énergétique qu'auparavant.
Si l'on considère les entreprises aujourd'hui et l'impact que ces politiques climatiques pourraient avoir sur leurs performances financières, il ne faut donc pas seulement tenir compte de leurs émissions de carbone individuelles – correctement calculées, c'est-à-dire selon une logique d'analyse de cycle de vie – ni de leur volonté d'acheter des crédits carbone pour « compenser » cette empreinte, mais plutôt de leur capacité à contribuer à la neutralité future par leurs activités et leurs produits. Plusieurs initiatives au niveau des entreprises suivent ce raisonnement consistant à tracer une trajectoire suffisamment ambitieuse : ACT (Assessing Low Carbon Transition) ou la SBTi (Science Based Targets Initiative). Ces approches sont pour l'instant trop récentes pour pouvoir tirer des conclusions sur l'impact que de tels objectifs pourraient avoir sur leurs performances financières, mais il sera très intéressant de les analyser dans un avenir proche.
Du point de vue des portefeuilles d'investissement, la question est la même et doit donc être posée autour de la contribution de l'investissement à l'objectif global de neutralité carbone. Elle ne peut donc pas être aussi simple que de regrouper des entreprises qui sont individuellement considérées comme de bons contributeurs ou ayant de bonnes performances. Les investisseurs ont un rôle additionnel à jouer en s'engageant auprès des entreprises dans lesquelles ils détiennent des actions, ce qui est par exemple mis en évidence dans le cadre de la Net Zero Asset Owner Alliance des Nations Unies.
L'élaboration de stratégies d'investissement diversifiées - indispensables - qui contribuent à l'objectif de neutralité carbone est essentielle au financement de la transition. Investir via un indice boursier traditionnel contribue aujourd'hui au financement d'une économie très peu souhaitable dans laquelle la hausse des températures avoisine +5°C. La Commission européenne a notamment créé un label pour les indices boursiers respectant des critères climatiques ambitieux ( «Paris-Aligned Benchmarks» et «Climate Transition Benchmarks»), dont les performances seront très intéressantes à observer dans les années à venir.