Bulle de l'IA: Wall Street cherche le bon moment pour paniquer information fournie par Agefi Dow Jones 19/11/2025 à 15:50
Même s'il existe une bulle spéculative à Wall Street, la correction actuelle ne veut pas forcément dire qu'elle s'apprête à éclater.
Les marchés actions américains donnent des signes de nervosité depuis deux semaines face à la valorisation stratosphérique des champions de l'intelligence artificielle (IA). Mais ce repli s'explique en grande partie par une prudence accrue au moment où le soutien apporté par les baisses de taux de la Réserve fédérale semble moins assuré.
Le S&P 500 a perdu 4% par rapport à ses niveaux records de la fin octobre, tandis que le Nasdaq Composite s'approche du seuil des 10% de baisse qui définit une correction. Mais depuis le début de l'année, l'indice riche en valeurs technologiques affiche toujours une solide progression de 16% après avoir surmonté le trou d'air de la guerre commerciale au printemps.
"La volatilité est alimentée par les doutes croissants au sujet d'une baisse des taux de la Réserve fédérale en décembre", a noté la banque privée suisse UBP en début de semaine, en rappelant que "les préoccupations concernant l'ampleur et le calendrier des investissements liés à l'IA ont continué à peser" sur le moral des investisseurs.
De son côté, le gestionnaire d'actifs Pictet AM relativise la défiance apparente: "C'est confirmé par les dernières données de flux d'achats et de ventes. La baisse des actions technologiques des dernières séances n'est pas liée réellement à une crainte de bulle de l'IA mais à des prises de bénéfices massives de la part des fonds spéculatifs".
+ Exubérance irrationnelle +
Le récent retournement du marché a coïncidé avec les déclarations du président de la Réserve fédérale (Fed), Jerome Powell, qui a prévenu fin octobre qu'une nouvelle baisse des taux en décembre n'était pas assurée. Il intervient également après la multiplication des mises en garde au sujet des risques de bulle spéculative liées à l'IA.
Le PDG de Goldman Sachs, David Solomon, a formulé des prédictions pessimistes lors de l'Italian Tech Week, mais plutôt pour le moyen terme: "Je ne serais pas surpris que dans les 12 à 24 mois nous assistions à un retrait sur les marchés actions. Il y aura beaucoup de capital déployé qui ne fournira pas de rendement, et quand cela se produira, les gens ne se sentiront pas bien". L'ancien patron d'Intel, Pat Gelsinger, a adopté une ligne similaire en lançant sur CNBC: "Bien sûr que nous sommes dans une bulle", tout en estimant qu'elle n'éclaterait pas avant plusieurs années.
Ce type de préoccupations se rencontre également chez les principaux acteurs de l'intelligence artificielle. Déjà en août, le patron d'OpenAI, Sam Altman, avait affirmé au site spécialisé The Verge: "Sommes-nous dans une phase où les investisseurs dans l'ensemble sont surexcités au sujet de l'IA? A mon avis oui. [...] Quelqu'un va se brûler, je pense". Si le co-fondateur de l'éditeur de ChatGPT ne remet pas en cause le potentiel technologique de l'IA, il s'est inquiété des valorisations "folles" observées dans le secteur, particulièrement pour des "licornes" ne dégageant pas de chiffre d'affaires.
+ Plans sur la comète +
Ces craintes, également exprimées par des institutions comme le FMI et la Banque d'Angleterre, ne sont pas nouvelles. En avril dernier, McKinsey estimait que 6.700 milliards de dollars d'investissements seraient consacrés aux data centers d'ici à 2030. Mais le cabinet de conseil notait que le manque de clarté sur la demande future faisait peser une forte incertitude sur la rentabilité de ces investissements. Selon cette étude, la demande de capacité de calcul dans les centres de données pourrait quasiment tripler d'ici à 2030 et l'IA pourrait être à l'origine de 70% de cette croissance.
Mais pour que ce scénario soit validé, l'IA devra démontrer qu'elle peut apporter de la valeur pour les entreprises, en leur faisant réaliser des gains de productivité ou en leur permettant de proposer des produits innovants. La rapidité de l'évolution technologique pourrait également bousculer ces hypothèses si les fabricants de semi-conducteurs lancent des puces plus efficaces et moins coûteuses. Les spécialistes de l'IA pourraient également développer des modèles moins gourmands en capacité de calcul et le secteur n'est pas à l'abri de l'irruption d'acteurs low cost comme l'a montré le cas du chinois DeepSeek début 2025.
+ Concentration record +
La combinaison d'enjeux aussi colossaux et d'un tel niveau d'incertitude a de quoi tempérer les ardeurs des investisseurs et à les faire s'interroger sur la flambée des cours, alors que la valeur du Nasdaq Composite a quasiment doublé depuis 2023.
Un des indices possibles de l'existence d'une bulle est la concentration croissante du marché dans quelques grands noms de la tech comme les 7 Magnifiques. Mardi soir à la clôture, la capitalisation boursière combinée de Nvidia , Apple , Microsoft , Alphabet , Amazon, Meta et Tesla atteignait 21.103 milliards de dollars, selon les données de Companiesmarketcap.com, soit 38% de l'ensemble de l'indice élargi S&P 500. En incluant Broadcom, le poids de ces quelques champions s'élève même à 41% du total.
Ces grands équilibres n'ont pas été modifiés par la volatilité de ces dernières semaines et la surreprésentation des géants technologiques dans l'indice s'est même un peu renforcée depuis octobre. Comme l'a relevé la lettre d'information financière The Kobeissi Letter, c'est la première fois dans l'histoire que les 7 Magnifiques dépassent les 20.000 milliards de dollars de valorisation et même la bulle internet de la fin des années 1990 n'avait pas connu de tels niveaux de concentration. Depuis 2023, la moitié des gains réalisés par le S&P 500 sont dus à l'engouement des investisseurs pour ces 7 entreprises.
Une telle hypertrophie n'est pas absolument inédite dans l'histoire comme le montre la place occupée par le secteur des transports dans les indices boursiers à la fin du XIXe siècle, à l'époque de l'essor du chemin de fer. Mais ce précédent montre aussi que la réalité d'une rupture technologique ne garantit pas le succès de ses pionniers et ne prémunit pas contre les paniques boursières, à l'image du "krach des chemins de fer" de 1873.
+ Croissance déséquilibrée +
L'envolée actuelle des valeurs technologiques ne repose pas uniquement sur les espérances des actionnaires, à l'heure où les infrastructures de l'IA se déploient effectivement. Mais elle pointe une dépendance accrue de l'ensemble de l'économie américaine à un seul secteur. Le professeur d'économie à Harvard Jason Furman a observé en octobre qu'en l'absence des investissements dans les data centers, la croissance américaine n'était que de 0,1% au premier semestre. La quasi-totalité de la croissance (92%) viendrait ainsi des investissements dans les logiciels et les infrastructures de l'IA.
Ce calcul ne signifie pas que sans l'IA les Etats-Unis seraient automatiquement proches d'une récession: si cette technologie ne captait pas autant de ressources, d'autres secteurs pourraient se développer davantage, et les taux d'intérêt seraient probablement plus bas, selon l'économiste de Harvard. Mais un coup de frein sur ces dépenses ne manquerait pas d'affecter l'ensemble de l'économie.
La structuration des partenariats de plusieurs centaines de milliards de dollars qui sous-tendent l'essor de l'IA a également de quoi inquiéter. "C'est l'opacité de ces arrangements qui peuvent rendre nerveux, et aussi leur circularité", a souligné Jason Furman au cours d'un podcast avec le New York Times.
En septembre Nvidia a annoncé qu'il investirait jusqu'à 100 milliards de dollars dans OpenAI à travers une prise de participation. Mais cette injection de fonds est destinée à financer l'achat de puces Nvidia. Le géant des processeurs pour l'IA vend en quelque sorte ses puces à crédit: l'opération ne sera bénéficiaire qu'à la condition que l'IA d'OpenAI porte ses fruits.
+ Risque systémique +
Sur le plan boursier, la concentration du marché dans l'informatique et particulièrement dans l'IA n'est pas le seul signe annonciateur de bulle. Un des outils couramment utilisés pour prédire la fin d'un rally est le ratio CAPE (cyclically adjusted price earning) inventé par Robert Schiller de l'université de Yale. Il mesure le prix d'une action par rapport aux bénéfices ajustés de l'inflation des 10 dernières années. Selon plusieurs sites spécialisés comme YCharts.com, cet indicateur s'approche actuellement des 40 pour le S&P 500, un niveau dépassé une seule fois dans l'histoire, précisément pendant la bulle Internet au début de l'an 2000.
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