Avis aux prétendants: la valeur d'Armani va bien au-delà du style information fournie par Reuters 17/09/2025 à 16:56
par Elisa Anzolin, Dominique Patton et Mimosa Spencer
La valeur économique totale d'Armani va bien au-delà de son activité de mode et tout acquéreur potentiel devrait examiner les ventes générées par les parfums et les montures vendus sous le nom du défunt créateur, ont estimé des sources industrielles et des analystes.
La maison de couture italienne fondée par Giorgio Armani il y a 50 ans a fait état d'un chiffre d'affaires de 2,3 milliards d'euros l'année dernière, en baisse de 5% sur un an, l'essor des vêtements décontractés réduisant l'attrait des costumes classiques de la marque.
Des documents déposés par la société montrent toutefois que le chiffre d'affaires a presque doublé, pour atteindre 4,25 milliards d'euros, si l'on inclut les ventes de produits de beauté et de lunettes - fabriquées sous licence depuis 1988 par L'Oréal OREP.PA et EssilorLuxottica ESLX.PA , respectivement.
Le testament de Giorgio Armani, publié la semaine dernière à la suite de son décès le 4 septembre, désigne L'Oréal et EssilorLuxottica, ainsi que LVMH LVMH.PA , comme acquéreurs potentiels de l'entreprise.
Les parfums et les produits de beauté de la marque Armani dans le portefeuille de L'Oréal génèrent environ 1,5 milliard d'euros par an, selon des sources industrielles et des analystes. Les lunettes Armani rapportent quant à elles environ 500 millions d'euros à EssilorLuxottica, selon les estimations.
Un peu plus d'un dixième de ces montants est reversé au groupe Armani sous forme de redevances, selon les calculs de Reuters basés sur les documents déposés.
Les ventes de produits sous licence pourraient être essentielles pour déterminer la valorisation d'Armani dans le cadre d'une éventuelle transaction, selon une source industrielle qui a travaillé pour un prétendant potentiel.
Alors que la marge d'exploitation du groupe Armani, qui dépend largement de la mode, est tombée à 3% l'année dernière, les activités liées à la beauté et aux lunettes apparaissent plus lucratives. L'Oréal a enregistré une marge d'exploitation globale de 20% en 2024, tandis que celle d'EssilorLuxottica s'élevait à près de 17%.
La marque Armani est "grande" dans le secteur des lunettes et de la beauté, a déclaré Erwan Rambourg, analyste chez HSBC, à Reuters, ajoutant cependant que la marque de prêt-à-porter a perdu de son attrait.
LES LICENCES AU CŒUR D'UNE VENTE POTENTIELLE
La licence d'Armani avec EssilorLuxottica, dans laquelle le défunt créateur détenait une participation de 2%, a été renouvelée en 2023 pour 15 ans. L'accord avec L'Oréal court quant à lui jusqu'en 2050.
Conscient de l'importance de ces collaborations, le testament de Giorgio Armani stipule que la priorité pour toute vente doit être donnée aux groupes avec lesquels sa société "a déjà un partenariat".
EssilorLuxottica et L'Oréal ont déclaré la semaine dernière qu'ils étudieraient la possibilité d'un investissement dans Armani, qui, selon le testament, devrait dans un premier temps représenter une participation de 15%.
Une deuxième participation, plus importante, devrait être transférée ultérieurement au même acheteur ou via une introduction en Bourse, selon le testament.
Pour L'Oréal, conserver le contrôle des licences Armani via l'achat d'une participation importante serait plus stratégique que pour EssilorLuxottica.
Armani est "très apprécié" en tant que marque de produits de beauté, a souligné Dan Su, analyste chez Morningstar. La marque italienne est également un des noms les plus connus dans le domaine des parfums pour hommes, un segment en plein essor.
Une offre de L'Oréal sur Armani rappellerait le rachat en 2022 par le groupe de beauté Estée Lauder EL.N de la marque de mode Tom Ford, en conservant les parfums mais en accordant des licences à long terme à d'autres acteurs pour l'habillement et les lunettes.
Mais la gestion d'une marque de mode en plus de celle de la beauté pourrait toutefois compliquer la tâche de L'Oréal.
EXPERTISE DANS LE LUXE
Pour EssilorLuxottica, qui s'est lancé dans la mode en rachetant la marque de streetwear Supreme en 2024, racheter Armani pourrait venir contrecarrer son projet de devenir un groupe spécialisé dans les technologies médicales.
De son côté, LVMH, qui dispose d'une grande expertise dans le domaine du luxe, aurait la capacité de gérer une acquisition complète, qui intégrerait l'ensemble des activités d'Armani, ont estimé plusieurs experts de l'industrie.
Le conglomérat français pourrait gérer les lunettes par l'intermédiaire de son unité Thelios, alors que la beauté est déjà une de ses activités principales.
Toutefois, LVMH pourrait avoir du mal à réaliser cette acquisition dans un avenir proche, compte tenu des licences existantes de longue durée.
Le PDG de LVMH, Bernard Arnault, devrait également cohabiter avec la fondation créée par Giorgio Armani pour préserver son héritage et qui dispose de facto d'un droit de veto.
(Rédigé par Elisa Anzolin et Lisa Jucca à Milan, Mimosa Spencer et Dominique Patton à Paris, avec Anousha Sakoui et Elvira Pollina, version française Etienne Breban, édité par Blandine Hénault)