Au bord de la Méditerranée, l'artillerie au défi des "feux dans la profondeur" information fournie par AFP 26/11/2025 à 23:36
Les deux roquettes se perdent dans le ciel avant de s'abattre sur leur cible à des dizaines de kilomètres: au bord de la Méditerranée, l'armée française s'exerce aux "feux dans la profondeur", essentiels pour détruire l'ennemi sur un champ de bataille qui s'élargit.
Dans un conflit de haute intensité comme en Ukraine, il est primordial de "façonner l'ennemi, d'affaiblir considérablement sa capacité de combat avant qu'il soit au contact", explique le général de brigade Marc Galan.
Pour cela, il faut viser ses batteries d'artillerie, ses postes de commandement, dépôts de munitions et centres logistiques implantés de plus en plus loin de la ligne de front.
Jusqu'à vendredi, la 19e brigade d'artillerie, créée il y a un an, mène son grand exercice baptisé Toll sur un site de la Direction générale de l'armement, implanté au milieu des pins de l'Ile du Levant, sur la Côte d'Azur.
Le scénario: repousser l'ennemi "en détectant ses bases de feu que nous traitons avec le LRU", le lance-roquettes unitaire capable d'envoyer une volée de 12 roquettes à près de 80 kilomètres, et en se défendant avec les moyens de défense sol-air, détaille le colonel Pierre Bernard, directeur de l'exercice.
Tirer de l'île permet de "tirer face à la mer en toute sécurité" avec des munitions réelles. "Ce matin, on a tiré 10 missiles anti-aériens" Mistral d'une portée de 6 kilomètres "et 2 roquettes de LRU", confie-t-il.
- Détection, destruction en 3 minutes -
Des drones DT-46 du 61e régiment d'artillerie, tout juste entrés en service, sont déployés pour détecter les cibles.
Dans la pénombre du PC, la radio égrène les coordonnées de la cible identifiée, lors d'une simulation de tir.
- "Reçu Foxtrot Charlie 61.09, un coup", répond un officier, ordonnant un tir de LRU.
- "5, 4, 3, 2, 1, tir... 122 secondes de temps de vol"
- "Impact au sol, BDA (Battle Damage Assessment, évaluation des dommages, ndlr) en cours... Je confirme un BM30 détruit", un lance-roquettes multiple Smertch russe, rapporte ensuite un officier.
De la détection de la cible à sa destruction à près de 80 kilomètres de là, trois minutes se sont écoulées.
L'armée de Terre, qui ambitionne de déployer une division de 20.000 hommes en 30 jours en 2027, a besoin de cette "capacité différenciante" qu'est l'artillerie de longue portée.
"La priorité la plus importante pour le futur à mes yeux, c'est celle des feux, d'être capable de détruire. C'est la dimension à travers laquelle on a le maximum d'enjeux à accélérer", confiait récemment le chef d'état-major de l'armée de Terre, le général Pierre Schill.
Mais les neuf LRU en service - quatre autres ont été cédés à l'Ukraine - sont en fin de vie et il devient urgent de les remplacer, même si "des plans de prolongation sont prévus et doivent nous permettre d'attendre le renouvellement", selon le colonel Bernard.
- Objectif 150 kilomètres -
"On optimise l'emploi, les phases de maintenance, la disponibilité technique permet de s'entraîner et d'être déployé", assure le colonel Olivier Leduc, chef de corps du 1er régiment d'artillerie opérant le LRU.
Une enveloppe de 316 millions d'euros est prévue en 2026 pour acquérir son successeur à l'horizon 2029-2030, qui doit être capable de tirer à 150 kilomètres.
Des tirs de démonstration prévus en mai 2026 doivent évaluer les systèmes proposés par un consortium formé de Safran et MBDA et un autre d'ArianeGroup et Thales .
"C'est à l'issue de cette démonstration qu'on prendra une décision, qui peut être de continuer sur cette solution souveraine, en prenant garde évidemment aux délais de livraison, ou de passer sur d'autres solutions étrangères", affirmait fin octobre devant les députés Emmanuel Chiva, alors délégué général pour l'armement.
Mais les chaînes de production du Himars américain, acheté par de nombreux pays européens, tournent déjà à plein régime et l'Europuls israélien est "non approprié aujourd'hui", confiait-il. Reste potentiellement le Pinaka indien ou le Foudre, un projet de lance-roquettes développé par une entreprise française de quelques centaines de salariés, Turgis et Gaillard.
Tout en rechargeant son panier de roquettes, le maréchal des logis Cassandre, chef de lanceur LRU, se veut philosophe: "On a tous forcément hâte, en même temps on est très content de ce système-là".