Un soldat britannique acquitté de deux meurtres lors du "Bloody Sunday" information fournie par AFP 23/10/2025 à 16:28
Un tribunal a acquitté jeudi à Belfast un soldat britannique qui était jugé pour deux meurtres et cinq tentatives de meurtre au cours du "Bloody Sunday", l'un des épisodes les plus sombres du conflit en Irlande du Nord, il y a plus de 50 ans.
Le 30 janvier 1972 à Londonderry (également appelé Derry), des parachutistes britanniques avaient ouvert le feu sur une manifestation pacifique de militants catholiques, faisant treize morts et au moins quinze blessés.
Premier militaire à être jugé pour ce "dimanche sanglant", un ancien parachutiste, uniquement connu sous le nom de "soldat F" pour des raisons légales, a été acquitté faute de preuves suffisantes pour les meurtres de James Wray et de William McKinney et cinq tentatives de meurtre.
"Je déclare l'accusé non coupable des sept chefs d'accusation", a dit le juge Patrick Lynch dans une salle d'audience comble, en présence de dizaines de proches de victimes et de soutiens de l'ancien militaire.
Le verdict, dans ce procès qui a commencé le 15 septembre, était très attendu en Irlande du Nord, où des décennies de violences intercommunautaires ont laissé de profondes blessures.
"La responsabilité" de l'acquittement "incombe clairement à l'État britannique", a réagi le frère d'une victime, Mickey McKinney. Il a accusé la police de n'avoir pas correctement enquêté et l'armée d'avoir "protégé" ses soldats et de leur avoir "permis de continuer à tuer en toute impunité".
Liam Wray, qui a aussi perdu son frère au moment du "Bloody Sunday", a dit ne pas être surpris par le verdict. "Notre famille savait quelles difficultés allait créer cette affaire devant les tribunaux", a-t-il déclaré à la BBC.
- "Déni de justice" -
Michelle O'Neill, la Première ministre d'Irlande du Nord, a dénoncé sur X "le persistant déni de justice pour les familles du +Bloody Sunday+".
Mme O'Neill est la vice-présidente du Sinn Fein, une formation qui était autrefois la vitrine politique de l'Armée républicaine irlandaise (IRA, paramilitaires opposés à toute présence britannique sur l'île d'Irlande).
En rendant son verdict, le juge a décrit le moment où des soldats ont tiré "dans le dos de civils non armés" à moins de 50 mètres de distance. "Les responsables devraient avoir honte", a-t-il asséné.
Les seules preuves contre "F" provenaient d'anciennes déclarations de deux autres soldats, auxquelles il est difficile de se fier, a expliqué le magistrat.
"Quels que soient les soupçons que le tribunal peut avoir sur le rôle de F, ce tribunal est contraint et limité par les preuves qui lui sont présentées". Il faut qu'elles soient "convaincantes et manifestement fiables", a souligné le magistrat, estimant que c'était "loin" d'être le cas.
Le "soldat F", qui avait plaidé non coupable, a été pendant tout le procès dissimulé derrière un rideau pour préserver son anonymat. Ses avocats ont affirmé que sa sécurité était menacée. Il n'a pas témoigné.
- Excuses officielles -
Le ministère britannique de la Défense a dit "prendre note" du jugement. Il s'est engagé à "prendre en considération le passé, tout en soutenant ceux qui ont servi leur pays pendant une période extrêmement difficile de l'histoire de l'Irlande du Nord".
L'armée britannique a longtemps affirmé que les parachutistes avaient répondu aux tirs de "terroristes" de l'IRA, une version alors confortée par un rapport réalisé à la hâte.
Malgré de nombreux témoignages contredisant ces affirmations, il a fallu attendre 2010 pour que soit officiellement reconnue l'innocence des victimes, atteintes pour certaines à terre, agitant un mouchoir blanc.
Le Premier ministre de l'époque, David Cameron, avait présenté des excuses officielles.
Le parquet nord-irlandais avait engagé des poursuites pénales contre le "soldat F" en 2019. Elles ont ensuite été abandonnées, puis relancées en 2022.
Le massacre du "Bloody Sunday" - immortalisé par le tube du groupe de rock irlandais U2 "Sunday Bloody Sunday" (1983) - a eu pour effet de précipiter de nombreux jeunes catholiques républicains dans les bras de l'IRA.
Les "Troubles" ont opposé pendant trois décennies républicains, surtout catholiques, partisans d'une réunification avec l'Irlande, et unionistes protestants, défenseurs de l'appartenance de l'Irlande du Nord à la Couronne britannique.
Il a fallu attendre 1998 pour que l'accord de paix dit du Vendredi Saint mette un terme à ce conflit qui a fait environ 3.500 morts.
Depuis, seul un ex-soldat britannique a été condamné : début 2023, David Holden s'est vu infliger une peine de trois ans avec sursis pour avoir tué un homme d'une balle dans le dos à un poste de contrôle en 1988. Il avait expliqué avoir tiré par accident car il avait les mains mouillées.