Un logiciel pour lutter contre la corruption des gendarmes autour de la consultation de fichiers information fournie par AFP 22/10/2025 à 09:25
Disposant de "moyens financiers colossaux", la criminalité organisée représente un risque majeur de corruption: pour lutter contre ce phénomène qui menace tous les agents de l'Etat, l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), le "gendarme des gendarmes", se dote d'un logiciel de contrôle.
Il y a ceux qui s'assurent que la baby-sitter qu'ils viennent d'engager n'a pas d'antécédents judiciaires, d'autres qui vérifient le statut d'un véhicule pour un proche. Et ceux qui consultent les fichiers pour fournir des informations sur les procédures en cours, contre rémunération, à des bandes criminelles.
Avec les smartphones Neo, gendarmes et policiers peuvent accéder aux fichiers, à tout moment, qu'ils soient en service ou en congé.
"Les fichiers sont une manne d'informations" et "un point de fragilité", considère une gendarme auprès de l'AFP. "L'utilisation illégitime des fichiers augmente chaque année, même si les chiffres restent à un petit niveau", ajoute-t-elle.
Le nombre d'affaires judiciaires pour corruption ou atteinte à la probité mettant en cause des gendarmes en lien avec la délinquance organisée est passé d'un seul dossier en 2021, comme en 2022, à 12 en 2023 et 21 en 2024. "La tendance est à ce stade encore haussière en 2025", constate la gendarmerie.
"Nous sommes touchés comme toutes les autres institutions de la sphère publique", indique Jean-Michel Gentil, chef de l'IGGN depuis 2023 et ancien juge d'instruction notamment à la criminalité organisée.
Auparavant, seule l'IGGN recevait une alerte lors des consultations portant sur des personnes connues - acteurs, chanteurs, sportifs, politiques - répertoriées.
Pour mieux surveiller les consultations indues et ainsi lutter contre la corruption, l'IGGN expérimente depuis le moi de mai le logiciel Citar (contrôle interne des traces des applications et du réseau), qui doit être déployé sur l'ensemble des unités de gendarmerie d'ici à la fin de l'année.
- "Théorie de la grenouille" -
Cet outil permet de tracer toutes les consultations réalisées sur quatre fichiers: le Traitement des antécédents judiciaires (TA GN), le Fichier des personnes recherchées (FPR GN), le Fichier des objets et des véhicules signalés (FOVES GN) ainsi que le cadre juridique de la Sauvegarde de la vie humaine (SVH GN).
Citar liste les recherches des gendarmes, des réservistes et des brigades, et à partir de patronymes.
L'outil est également conçu pour repérer "à court ou moyen terme" les vérifications effectuées sur Genesis, le fichier des détenus de l'administration pénitentiaire, et le Système de traitement central de lecture automatisée de plaque d'immatriculation (STCL - LAPI), précise la gendarmerie.
Citar, créé à la demande de la Direction générale de la gendarmerie nationale, permettra aux commandants de compagnie d'exercer "un contrôle en interne des usages abusifs des fichiers", détaille le général Hubert Charvet, chef de la division des enquêtes internes à l'IGGN, qui veut croire que "l'outil aura un effet préventif".
"Notre but est surtout de protéger les gendarmes, ce n'est pas une simple démarche répressive", précise M. Gentil. "La criminalité organisée dispose de moyens financiers colossaux mais surtout d'un potentiel de violence qui peut être phénoménal avec des menaces sur les familles", poursuit le patron de l'IGGN.
"On distingue trois niveaux en matière de risques liés à la criminalité organisée: la collusion, puis l'intimidation, et enfin la rétorsion pouvant aller jusqu'à l'assassinat", développe le général Charvet. "On reste jusqu'à présent au niveau de la collusion" et "il faut éviter à tout prix d'être touché au-delà".
Le général compare volontiers l'emprise et les "stratégies offensives" de la criminalité organisée à "la théorie de la grenouille dans une casserole d'eau" que l'on chauffe: au départ le batracien ne réagit pas mais une fois que l'eau est bouillante, il est cuit.
Les cas de corruption, "l'infraction la plus occulte qui soit", rappelle M. Gentil, apparaissent la plupart du temps dans des dossiers judiciaires, mais aussi lors de suspicion de violation du secret professionnel, d'alertes sur l'usage des fichiers ou de dénonciations.
La vie en caserne où tout se sait, tout se voit, ainsi que le poids hiérarchique, qui permet de détecter rapidement tout manquement, agissent comme "un contrôle social" qui est une forme de protection pour le gendarme, souligne-t-on.
Par ailleurs, un groupe anticorruption a été créé au sein de l'IGGN le 1er août afin de mieux détecter la corruption, la prévenir et traiter les cas qui surviennent.