Sidérurgie: au-delà de US Steel, les défis de Nippon Steel dans un marché sous tension
information fournie par Boursorama avec AFP 19/06/2025 à 08:09

( AFP / KAZUHIRO NOGI )

Demande morose, dumping chinois, endettement... le géant japonais de la sidérurgie Nippon Steel, qui a vient de finaliser l'acquisition de son rival US Steel, est confronté à d'épineux défis dans un marché mondial tendu.

- Rachat de US Steel: conditions strictes et risque financier

Nippon Steel a finalisé mercredi le rachat d'US Steel, acceptant après des mois de blocage de strictes conditions, dont un contrôle du gouvernement américain sur les décisions stratégiques du groupe via une "golden share" (action préférentielle).

Au prix de l'acquisition déjà convenu (14,9 milliards de dollars dette comprise), s'ajoutent 11 milliards de dollars d'investissements supplémentaires à réaliser impérativement d'ici 2028.

Ce coût financier "alourdit considérablement la dette du groupe japonais", qui s'élevait fin mars à 17 milliards de dollars, prévenait récemment Michelle Leung, analyste de Bloomberg Intelligence.

Certes, Nippon Steel "se diversifie au-delà du marché japonais en difficulté", mais devra réaliser "des investissements importants pour moderniser les actifs vieillissants d'US Steel", ajoute-t-elle.

L'agence de notation S&P menace de dégrader sa note, évoquant "un fardeau financier considérable". Cet endettement accru "est cependant contrebalancé par les avantages stratégiques de l'expansion sur le marché américain" pour échapper aux barrières douanières, tempère Roman Schorr, analyste de Moody's.

L'actionnaire activiste 3D Investment Partners reste alarmé: "Le niveau d'investissement dépassera largement la capitalisation boursière actuelle" et pourrait générer "une dépréciation irréversible de sa valeur", a-t-il cinglé dans une lettre ouverte.

Selon lui, le contrôle gardé par Washington pourrait entraver Nippon Steel "en cas de ralentissement du marché ou d'autre situation d'urgence nécessitant des réformes structurelles". Le PDG de Nippon Steel a démenti ce risque jeudi, assurant conserver une "liberté de gestion" suffisante.

- Demande mondiale déprimée

L'acquisition intervient sur fond de déséquilibre du marché mondial, exacerbé par la Chine.

"La demande d'acier reste dans une situation de crise sans précédent (...) le gonflement des exportations et la surproduction sont des tendances structurelles sans signe d'amélioration", estimait Nippon Steel en mai.

Et les surtaxes américaines de 50% sur l'acier assombrissent l'horizon.

Au Japon, "le déclin et le vieillissement de la population devraient encore réduire la consommation d'acier" et si les sidérurgistes nippons ont jusqu'ici maintenu la production nationale en musclant leurs exportations, les perspectives à l'international se détériorent, avertissait Nippon Steel dès octobre.

Il pointait la tendance des pays consommateurs à localiser la production. Nippon Steel a lui-même racheté Essar Steel en Inde (en coentreprise avec ArcelorMittal), ainsi que GSteel et GJSteel en Thaïlande.

L'acquisition d'US Steel permettra à Nippon Steel d'accroître à 86 millions de tonnes/an ses capacités de productions mondiales, contre 66 actuellement (dont seulement 19 millions hors Japon).

- Surproduction chinoise

Le rapprochement Nippon Steel/US Steel donne naissance au 4e sidérurgiste mondial en volumes, derrière Baowu (Chine), Arcelor-Mittal (basé au Luxembourg) et Ansteel (Chine), selon la WorldSteel Association.

Or, la planète croule sous les excédents d'acier, en bonne partie subventionnés par la Chine.

Alors que sa demande intérieure s'essouffle et grâce à son "énorme surcapacité de production", "la Chine exporte massivement, pour stimuler son PIB, de grandes quantités d'acier à travers l'Asie à des prix à peine rentables", indique à l'AFP Ryunosuke Shibata, analyste chez SBI Securities.

"Cela a des répercussions sur les exportations des sidérurgistes japonais, pris dans une guerre des prix", mais également au Japon même "avec une pression sur les prix intérieurs", détaille-t-il.

La croissance de la demande mondiale d'acier, "moins de 1%" par an, "ne suit pas" l'accroissement prévu des capacités de production qui devraient bondir de 6,7% entre 2025 et 2027 selon l'OCDE, alimentant une chute des prix qui menace de nombreux aciéristes.

Les exportations de la Chine, premier producteur mondial, ont plus que doublé depuis 2020, conduisant à des enquêtes anti-dumping, notamment dans l'UE.

Dans ce contexte, mieux vaut étendre ses activités en rachetant les opérations existantes d'US Steel plutôt qu'en construisant de nouvelles usines qui seraient venues gonfler davantage l'offre mondiale, fait valoir le PDG de Nippon Steel Eiji Hashimoto.

- Coûteux virage de la décarbonation

Alors que le Japon vise la neutralité carbone d'ici 2050, Nippon Steel s'est engagé à verdir sa production: il a annoncé fin mai l'équivalent de 6 milliards de dollars d'investissements pour construire, modifier ou redémarrer trois fours à arc électrique.

Même si près d'un tiers est pris en charge par le gouvernement japonais, "ces investissements pourraient entraîner une hausse des coûts financiers" alors même que la production concernée "ne débutera pas avant l'exercice 2029", prévient Michelle Leung.