REPORTAGE-Syrie-Un an après la chute d'Assad, les familles cherchent encore leurs proches disparus
information fournie par Reuters 08/12/2025 à 12:37

par Khalil Ashawi et Maya Gebeily

Un an après l'éviction de Bachar al Assad en Syrie, la quête désespérée d'Amina Beqai n'a pas de cesse. Pianotant sur internet le nom de son mari disparu, elle espère obtenir des réponses à ses questions. En vain.

Si une commission nationale pour les personnes disparues, créée en mai dans le pays, a apporté des preuves sur les disparitions forcées sous le régime Assad, aucun indice n'a encore été fourni aux familles des quelque 150.000 disparus qui se sont volatilisés dans les tristement célèbres prisons syriennes.

Mahmoud, le mari d'Amina Beqai figure parmi ces disparus. Il a été arrêté par les forces de sécurité syriennes à son domicile près de Damas le 17 avril 2012. Ahmed, le frère d'Amina Beqai, est lui aussi introuvable depuis son arrestation en août de la même année.

Le renversement de Bachar al Assad par des rebelles islamistes en décembre dernier avait pourtant suscité l'espoir des familles de disparus de mettre la main sur les dossiers carcéraux et de savoir si, quand et comment leurs proches sont morts.

Il était aussi attendu que les fosses communes creusées dans le pays par les forces de Bachar al Assad soient mises au jour et que les victimes soient enterrées correctement.

Mais rien de tout cela ne s'est produit.

"Cela fait un an. Ils (les rebelles désormais au pouvoir, NDLR) n'ont rien fait ... . Est-il possible qu'ils n'aient même pas obtenu les documents concernant ces hommes ? Ce que nous voulons, c'est qu'on nous montre la vérité", explique Amina Beqai à Reuters.

A l'occasion du premier anniversaire de la chute d'Assad et du règne dynastique de sa famille pendant 54 ans, beaucoup de Syriens restent épuisés par l'absence de réponses.

LES ESPOIRS S'ESTOMPENT

Dans les heures qui ont suivi la chute de Bachar al Assad, les rebelles qui ont pris Damas ont pénétré dans les prisons syriennes pour y libérer des milliers de prisonniers.

Au nombre de ces geôles, la prison de Sednaya, "l'abattoir humain" selon les mots d'Amnesty International, où étaient torturés et exécutés les opposants au régime.

Si quelques détenus désorientés en sont sortis l'an dernier, Amina Beqai n'a trouvé aucune trace de son mari.

"Lorsque les prisons ont été ouvertes et qu'ils ne sont pas revenus, ça a été le choc. C'est à ce moment-là que l'espoir a pris fin, qu'il est vraiment mort", raconte-t-elle. Elle exige toutefois de savoir les conditions dans lesquelles son mari et son frère ont pu mourir.

En l'absence d'informations de la commission nationale pour les disparus, Amina Beqai confie être devenue "obsédée" par la recherche en ligne. Parcourant photos de détenus morts et scans de documents de prison publiés par les services de sécurité et les organes de presse syriens qui sont entrés dans les prisons, elle cherche toute information qui pourrait être cruciale.

Sarah al Khattab a obtenu des informations sur son mari disparu de cette façon.

L'homme en question, Ali Mohsen al Baridi, a été vu pour la dernière fois le 9 février 2019, alors qu'il se rendait dans un poste de police du sud de la Syrie pour faire allégeance au régime après des années passées à se cacher avec les insurgés.

Une liste des prisonniers morts à Sednaya, consultée par Reuters après la chute d'Assad, comprenait son nom et datait sa mort au 22 octobre 2019 en raison d'un "arrêt du pouls et de la respiration". Le document donnait l'ordre que le corps ne soit pas remis à sa famille.

Le document vu par Reuters a été transmis au Centre syrien pour la justice et la responsabilité, un groupe de défense travaillant avec les familles des disparus, qui a informé Sarah al Khattab du décès de son mari.

EFFORTS GOUVERNEMENTAUX

La commission pour les disparus a été créée par Ahmed al Charaa, ancien chef des rebelles et désormais président intérimaire de la Syrie. La conseillère médias de la commission, Zeina Shahla, a déclaré à Reuters que son mandat incluait tous les Syriens disparus, quelles que soient les circonstances.

"Lorsqu'il s'agit de la douleur des familles, il se peut que nous soyons vraiment lents. Mais ce dossier doit progresser avec prudence, d'une manière scientifique et systémique, et non dans la précipitation", souligne-t-elle.

La commission espère créer l'année prochaine une base de données sur les disparus à l'aide de documents provenant de prisons et d'autres lieux de l'administration Assad.

L'exhumation des fosses communes nécessite cependant davantage d'expertise technique et ne se fera probablement pas avant 2027, souligne Zeina Shahla.

La commission, qui a rencontré des groupes de défense des droits des Syriens et certaines familles, a signé en novembre un accord de coopération avec le Comité international de la Croix-Rouge et la Commission internationale pour les personnes disparues, qui disposent d'une expertise mondiale en la matière.

L'organe syrien espère que cet accord permettra de mieux former son personnel et d'accéder à des équipements qui font défaut en Syrie, tels que des laboratoires de tests ADN pour les restes exhumés.

"Nous nous réjouissons de toute forme de coopération et de soutien que nous pouvons recevoir, tant que la question reste sous l'autorité (de la commission)", déclare Zeina Shahla.

LES PROCHES ET MILITANTS RÉCLAMENT DAVANTAGE

Mais cette approche a contrarié les organisations qui ont développé une expertise sur les disparitions forcées alors qu'elles étaient en exil sous l'ère Assad, ont déclaré six groupes de défense des droits à Reuters.

Nombre d'entre elles étaient enthousiastes à l'idée d'appliquer ces connaissances sur le terrain et déplorent que le gouvernement les ait exclues du processus, ralentissant ainsi les progrès et laissant les familles dans l'incertitude.

"Lorsque vous avez un quart de million de personnes disparues, vous ne pouvez pas faire cela. Vous divisez le travail", regrette Ahmad Helmi, un militant syrien qui dirige Ta'afi, une initiative axée sur les détenus disparus et les survivants des prisons.

Ces organisations indépendantes accusent également la commission de "monopoliser" les documents relatifs à la détention des disparus.

En septembre, Amer Matar, un militant qui a fondé un musée virtuel en hommage aux prisonniers, a été brièvement détenu après avoir été accusé d'avoir accédé illégalement à des documents officiels à des fins personnelles.

La commission nationale a exhorté en novembre les familles de disparus à ne pas croire les documents relatifs à la détention diffusés sur des plateformes en ligne non officielles et a menacé d'engager des poursuites judiciaires à l'encontre de ces sites.

C'est pourtant sur ces sites et plateformes qu'Amina Beqai effectue ses recherches.

"La commission veut monopoliser le dossier, mais elle manque d'outils, de compétences et de transparence. Elle demande la confiance des familles mais ne fournit aucun résultat", observe Amer Matar.

Zeina Shahla fait valoir que la commission est "l'organe central et officiel habilité à révéler le sort" des personnes disparues et que les familles n'ont besoin que d'un seul endroit où s'adresser pour obtenir des réponses précises.

Pour Agnès Callamard, directrice d'Amnesty International, la commission devrait publier des mises à jour régulières sur ses progrès et envisager d'accorder une aide financière aux proches des personnes disparues.

"La chose la plus importante que la commission nationale puisse faire pour le moment est de s'assurer que les familles se sentent entendues et soutenues", dit-elle à Reuters.

(Reportage Khalil Ashawi et Maya Gebeily ; avec Maggie Michael ; rédigé par Maya Gebeily ; version française Etienne Breban ; édité par Blandine Hénault et Sophie Louet)