Procès Péchier: une enquête "inhabituelle", des médicaments pour armes
information fournie par AFP 09/09/2025 à 17:07

L'ex-anesthésiste Frédéric Péchier (au centre) marche derrière son avocat Me Randall Schwerdorffer, le 8 septembre 2025 à la cour d'assises de Besançon ( AFP / SEBASTIEN BOZON )

Un bloc opératoire comme scène de crime, des médicaments pour armes: le directeur de l'enquête sur les empoisonnements reprochés à l'ex-anesthésiste Frédéric Péchier a décrit mardi devant la cour d'assises du Doubs des investigations pour le moins particulières.

C'est une "enquête inhabituelle pour plusieurs raisons: la scène de crime, les armes utilisées", a expliqué Olivier Verguet à la cour. La scène de crime, c'est un bloc opératoire, un "lieu aseptisé avec une hygiène maximum" compliquant la possibilité de relever des empreintes digitales ou des traces d'ADN.

Assimiler le vocabulaire technique, comprendre le fonctionnement d'une anesthésie, se confronter au secret médical... "Je n'imaginais pas l'ampleur de la tâche qui allait être la nôtre", a déclaré le policier.

Cette investigation "complexe" a démarré début 2017, avec l'arrêt cardiaque d'une patiente de 36 ans en bonne santé, Sandra Simard, lors d'une opération du dos. "Personne ne comprenait les raisons" de cet incident, survenu le 11 janvier, ce qui avait conduit la médecin en charge de l'anesthésie à faire saisir, à des fins d'analyse, les poches de soluté utilisées lors de l'opération.

Dans une poche de réhydratation est alors découverte une concentration de potassium 100 fois supérieure à celle attendue, ce qui conduit la direction de la clinique Saint-Vincent à alerter le parquet.

- "Psychose" -

Le 20 janvier, alors que des enquêteurs de la police judiciaire se trouvent dans l'établissement, Jean-Claude Gandon, 70 ans, fait à son tour un arrêt cardiaque au cours d'une opération dont l'anesthésie était cette fois confiée au Dr Péchier. Les investigations révèlent une intoxication à la mépivacaïne, un anesthésique local.

C'est la première et seule fois qu'un patient du Dr Péchier est victime d'un arrêt cardiaque suspect. Il survit.

L'anesthésiste, qui avait signalé la présence de poches de paracétamol étrangement percées dans la salle d'opération, s'estime victime d'un acte malveillant. "Ça y est, je m'en suis pris un !" dit-il à un collègue.

Mais les enquêteurs le soupçonnent au contraire d'avoir sciemment empoisonné son propre patient afin de se forger un alibi.

Ces deux "événements indésirables graves" (EIG) entraînent l'ouverture d'une information judiciaire dès le 7 février.

Les enquêteurs redoutent à l'époque de nouveaux empoisonnements: "une psychose commençait à naître dans ce bloc opératoire", témoigne M. Verguet.

Au fil de l'enquête, les policiers établissent des rapprochements avec d'autres cas d'empoisonnements - mode opératoire, heure matinale des faits -, et commencent à "trouver la présence récurrente du Dr Péchier particulièrement inquiétante".

Les investigations lèvent également le voile sur l'ambiance conflictuelle qui règne au sein de la Clinique Saint-Vincent, où les anesthésistes se déchirent pour des questions d'argent, de pouvoir, voire de planning.

En mars 2017, Frédéric Péchier est placé en garde à vue et mis en examen pour sept premiers empoisonnements avec préméditation.

- "Un criminel parmi eux" -

Au fil d'investigations longues et complexes, il sera finalement mis en cause pour un total de trente empoisonnements, dont douze mortels, entre 2008 et 2017, sur des patients âgés de 4 à 89 ans.

Ses anciens collègues de la clinique Saint-Vincent ont eu "un véritable sentiment de culpabilité de ne pas avoir pu découvrir qu'un criminel se trouvait parmi eux", relate M. Verguet.

Selon l'accusation, le médecin aurait pollué volontairement les poches de soluté de patients, à la fois pour nuire à des collègues avec lesquels il était en conflit et pour démontrer ensuite ses qualités de réanimateur.

Après son arrêt cardiaque, Jean-Claude Gandon a raconté à l'AFP avoir subi un "deuxième choc", en apprenant qu'il avait été empoisonné. Aujourd'hui, "je voudrais savoir la vérité", confie le septuagénaire.

Croquis d'audience montrant l'ex-anesthésiste Frédéric Péchier à son procès à la cour d'assises de Besançon, le 8 septembre 2025 ( AFP / Benoit PEYRUCQ )

Devant la cour, Frédéric Péchier a réaffirmé lundi ce qu'il dit depuis le début: il n'a "jamais empoisonné" personne.

Après huit ans d'enquête, cet homme de 53 ans comparaît libre, mais risque la réclusion criminelle à perpétuité. Jadis décrit comme la star des anesthésistes de Besançon, ce père de trois enfants a tout perdu. Il a divorcé, ne travaille plus et vit désormais du RSA.