Procès Péchier: le "tabou de l'assassinat médical" brisé par deux "lanceurs d'alerte"
information fournie par AFP 11/09/2025 à 21:57

Le docteur Frédéric Péchier, devant le tribunal à Besançon, le 8 septembre 2025 ( AFP / Benoit PEYRUCQ )

Deux anesthésistes "lanceurs d'alerte" ont brisé le "tabou de l'assassinat médical": la cour d'assises du Doubs s'est penchée jeudi sur le déclenchement de l'affaire des 30 empoisonnements, dont 12 mortels, reprochés au docteur Frédéric Péchier.

"Les docteurs Sébastien Pili-Floury et Anne-Sophie Balon ont fait figure de lanceurs d'alertes dans cette affaire", a souligné devant la cour l'ancien commandant de police Fabrice Charligny.

Son service est saisi par le parquet dès l'ouverture de l'enquête, après l'arrêt cardiaque inexpliqué de Sandra Simard, 36 ans, le 11 janvier 2017.

La patiente avait été transférée au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Besançon pour sa réanimation.

L'anesthésiste de la clinique en charge de la patiente, Anne-Sophie Balon, "débarque dans le service avec une furieuse envie de comprendre", déclare jeudi le chef de service de réanimation du CHU, Sébastien Pili-Floury. Elle lui montre l'électrocardiogramme de Sandra Simard.

"Quand j’ai vu l’électro, ça a été comme une évidence pour moi, c'était un tracé typique d’une hyperkaliémie massive (un excès de potassium, Ndlr)", poursuit-il.

"Alerté depuis plusieurs années sur l'arrivée de patients de la clinique Saint-Vincent en arrêt cardiaque, qui n'auraient pas dû faire d'arrêt cardiaque", le chef de service conseille à sa consoeure de "filer à la clinique" pour "récupérer tout ce qui avait été administré à la patiente" et faire "doser le potassium".

Une quantité de potassium 100 fois supérieure à la normale est découverte lors des analyses. "Très clairement on était dans un contexte malveillant", dit le docteur Pili-Floury.

Un électrochoc pour le monde médical. Cette dose était "énorme, c'est miraculeux que cette patiente ait survécu", a témoigné également jeudi Philippe Panouillot, pharmacien inspecteur de l'Agence régional de santé (ARS).

- "Arrêter l'hécatombe" -

La direction de la clinique et l'ARS alertent alors le parquet de Besançon qui ouvre une enquête.

L'affaire Péchier commence.

Sébastien Pili-Floury fait part aux enquêteurs de plusieurs cas similaires de patients transférés de la clinique Saint-Vincent au CHU.

Avant ces faits, "plusieurs enquêtes" portant sur des arrêts cardiaques suspects "n'avaient pas abouti, c'est vraiment ce cas de 2017 qui a permis de tirer les fils" de l'ensemble des 30 empoisonnements dont est aujourd'hui accusé le docteur Péchier, a remarqué la présidente de la cour, Delphine Thibierge.

Au début de l'enquête, "le docteur Péchier était insoupçonnable, c'était le meilleur anesthésiste de la clinique Saint-Vincent. Dans le logiciel des médecins, c’était impensable", selon le commandant Fabrice Charligny.

L'ancien anesthésiste Frédéric Péchier s'adresse à la presse à son arrivée au palais de justice de Besançon, le 8 septembre 2025 dans le Doubs ( AFP / Romeo BOETZLE )

Pour avancer, les investigations ont dû briser le "tabou social de l'assassinat médical", relève l'avocate générale Christine de Curraize.

Après l'arrêt cardiaque de Mme Simard, "l'impensable commence à se faire jour", se souvient Philippe Panouillot.

"On prend peur et on se dit : il y a peut-être quelqu'un qui tue des gens depuis des années à Besançon et on l'a pas vu. Il faut arrêter l'hécatombe, il faut arrêter le massacre".

L'ARS est vite "convaincue de la culpabilité de Frédéric Péchier" et craint, comme les enquêteurs, de nouveaux empoisonnements.

- "Orfèvre de la mort" -

Frédéric Péchier, 53 ans, est interpellé dès mars 2017. Il est soupçonné d'avoir pollué les poches de perfusion de patients pour provoquer leur arrêt cardiaque, afin de discréditer des collègues avec qui il était en conflit, tout en démontrant ses qualités de réanimateur.

L'avocat de l'accusé, Me Randall Schwerdorffer, l'admet, l'empoisonnement de Sandra Simard "est forcément un crime de soignant".

Mais selon son avocat, Frédéric Péchier est "un coupable idéal" pour les enquêteurs, et début 2017, il y a urgence, "si on arrête pas Frédéric Péchier, on ferme la clinique".

Et "quelqu'un qui est un orfèvre de la mort, de l'anesthésie, a-t-il besoin de mettre 100 fois la dose de potassium pour tuer ?", interroge le ténor qui avance l'hypothèse qu'un collègue de monsieur Péchier aurait lui aussi pu être l'empoisonneur.

Lee Takhedmit, autre conseil de M. Péchier, fustige par ailleurs l'absence "de mobile déterminé" de son client.

Frédéric Péchier, père de trois enfants a toujours clamé son innocence. Il comparaît libre, mais risque la réclusion criminelle à perpétuité.

Le verdict est attendu le 19 décembre.