Pacte Dutreil : la Cour des comptes propose une réforme, le Medef outré, Bercy réservé information fournie par AFP 18/11/2025 à 17:50
La Cour des comptes a présenté mardi des propositions de réforme du pacte Dutreil sur les transmissions d'entreprises familiales, qui en diviseraient le coût par deux pour les finances publiques, mais ont mis en colère le Medef et reçu un accueil très froid de Bercy.
Le pacte Dutreil, du nom de l'ancien ministre des PME Renaud Dutreil, favorise depuis 2003 le maintien des entreprises familiales de toutes tailles à l'intérieur de la famille, à l'origine pour préserver le tissu industriel et éviter des rachats par des entreprises étrangères.
Le dispositif, utilisé par des milliers de familles chaque année, permet notamment, sous réserve d'un engagement de conservation de l'entreprise pendant six ans minimum, d'obtenir un abattement de 75% sur la valeur des biens transmis.
Le rapport de la Cour des comptes constitue la première évaluation chiffrée de cette niche fiscale, réalisée avec l'Institut des politiques publiques (IPP).
Selon la juridiction économique, elle a coûté plus de 5,5 milliards d'euros de manque à gagner au fisc en 2024 – en raison d'une énorme transmission – alors que Bercy ne l'avait inscrite que pour 500 millions dans le projet de loi de finances (PLF), comme chaque année.
- "Peu discernables" -
Depuis, le ministère a revu ses prévisions à la hausse : le pacte figurait pour 800 millions dans le PLF 2025 et 4 milliards dans celui de 2026.
Dans le même temps, la Cour juge "peu discernables" les résultats économiques du pacte, a souligné lors d'une conférence de presse son Premier président Pierre Moscovici.
Si elle considère qu'un tel dispositif se justifie par la fiscalité élevée des transmissions en France, elle propose de le restreindre nettement.
Elle suggère ainsi d'exclure les biens non professionnels de l'abattement, d'allonger la durée obligatoire de détention des titres, et de réduire ou moduler le taux d'abattement de 75%, en fonction du montant transmis ou de l'exposition de l'entreprise à la concurrence internationale.
"Je ne peux que souhaiter que les parlementaires s'emparent (du rapport) dans le cadre du débat budgétaire en cours", a glissé M. Moscovici.
Or ce débat est inflammable, et les avantages financiers du pacte régulièrement critiqués à gauche. Ce climat a sans doute poussé de nombreuses entreprises à souscrire un Dutreil ces dernières années, craignant qu'il soit remis en cause à l'avenir, estime la Cour.
Les députés en ont déjà resserré les critères début novembre, supprimant les biens non-professionnels de l'abattement et allongeant la durée de détention obligatoire.
- "Lamentable" -
Le rapport a mis en colère le Medef et le Meti (mouvement des entreprises de taille intermédiaire).
Dans un communiqué, ils qualifient de "partiales et partielles" les analyses de la Cour, agitant l'épouvantail de la "prédation de nos produits, savoir-faire, PME et ETI" par des rachats étrangers si les paramètres du pacte, qualifié de "trésor national" pour avoir fait décoller le nombre d'ETI en France, sont modifiés.
Alors que le projet de loi de finances arrive au Sénat fin novembre, le gouvernement veille au grain.
Lundi, devant des dizaines de chefs d'entreprises réunis à l'évènement Choose France, le Premier ministre Sébastien Lecornu a qualifié le pacte Dutreil "d'avancée absolument formidable", tandis que la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin suggérait quelques corrections "pour le rendre moins attaquable".
En l'occurrence, a précisé Bercy mardi, l'établissement d'une liste de "biens somptuaires" – yachts, voitures de luxe… – qui se glissent parfois dans la transmission Dutreil, et devront en être explicitement exclus.
Bercy a poliment salué "le travail d'analyse de la Cour des comptes, précieux et complémentaire de l’action menée par Bercy ces dernières années", mais critiqué les calculs avancés par la Cour.
Dès fin octobre, alors que le rapport avait fuité, Renaud Dutreil avait accusé cette dernière d'avoir un "intérêt idéologique" avec ce rapport, et d'être une "officine du Parti socialiste", parti de M. Moscovici pendant sa carrière politique.
"Un commentaire lamentable, une remise en cause infondée, indécente, et peut-être un signe de fébrilité", a tancé mardi le Premier président de la Cour.