Minerais ukrainiens, un bon deal ? Pour qui ? information fournie par Le Cercle des économistes 26/05/2025 à 10:16
Alors que la guerre se poursuit en Ukraine, Washington et Kiev ont conclu le mois dernier un accord sur l'accès aux réserves des minerais précieux présents dans le sous-sol ukrainien. Patrice Geoffron explique pourquoi ces minerais représentent moins un « bon deal » économique qu'un pari géostratégique
L'annonce en avril 2025 de l'accord « historique » entre les États-Unis et l'Ukraine sur l'exploitation des ressources minières ukrainiennes a relancé les débats sur la valeur stratégique du sous-sol de ce pays en guerre. Donald Trump revendique un juste retour sur investissement de l'aide militaire américaine, tandis que Volodymyr Zelensky cherche à sécuriser un soutien à long terme. Mais, en toile de fond, le potentiel géologique et économique de cet accord est très hypothétique, alors que l'horizon de la fin du conflit et d'un retour à une forme de stabilité géopolitique reste très nébuleux.
L'accord de 2025 s'inscrit dans la stratégie américaine de sécurisation des chaînes d'approvisionnement face à l'hégémonie chinoise. Washington mise sur l'Ukraine pour diversifier ses sources de lithium, de titane et de graphite, essentiels à son industrie de défense et à sa transition énergétique. Du côté européen, le Critical Raw Materials Act de 2024 classe l'Ukraine comme partenaire clé pour approvisionner l'Europe en métaux critiques. Pour Kiev, l'exploitation minière est moins une priorité économique à ce stade qu'un levier diplomatique. En échange de l'accès à ses ressources, l'Ukraine espère obtenir des garanties sécuritaires et un soutien accru à son intégration euro-atlantique. Toutefois, l'accord avec les États-Unis ne mentionne aucune clause de défense mutuelle, limitant son impact stratégique et toute perspectives de matérialisation concrète avant de longues années (et sans doute très au-delà du terme du second mandat Donal Trump)
Certes, l'Ukraine détiendrait environ 5 % des gisements minéraux mondiaux, avec des réserves estimées entre 7 500 et 15 000 milliards de dollars. Selon la Commission Européenne, le pays possèderait 22 des 34 matières premières considérées comme critiques. Mais, ce potentiel est basé sur des estimations soviétiques aux méthodologies remises en question par les normes d'expertise modernes. Et plus de 50 % de ces ressources se situeraient dans les territoires occupés par la Russie ou proches du front. En outre, la guerre a endommagé les deux tiers des capacités électriques du pays, rendant les projets miniers encore plus coûteux. D'autant que les réseaux ferroviaires et portuaires, vitaux pour l'exportation, ne restent que partiellement opérationnels. Rien ne garantit que les coûts d'extraction ukrainiens puissent concurrencer les sources sud-américaines ou australiennes.
Une cartographie géologique actualisée, réalisée avec des technologies satellitaires et des partenaires internationaux, est urgente pour attirer les investisseurs. Les joint-ventures avec des entreprises occidentales pourraient combler le déficit technologique et financier de l'Ukraine. Des clauses de partage des bénéfices et de transfert de savoir-faire devront être intégrées pour éviter une exploitation prédatrice, ainsi que des études d'impact rigoureuses et des mécanismes de compensation pour les communautés locales : 19 des 37 gisements critiques identifiés se trouveraient à moins d'un kilomètre de zones écologiquement sensibles. Les risques de pollution des nappes phréatiques par les drainages acides et les déchets miniers sont élevés, surtout dans un contexte de régulation environnementale laxiste.
Au total, les minerais ukrainiens représentent moins un « bon deal » économique qu'un pari géostratégique. Leur exploitation massive impliquera la fin du conflit, des réformes structurelles et des investissements pharaoniques. Dans l'immédiat, leur valeur réside dans leur capacité à renforcer les alliances occidentales et à offrir à Kiev une perspective. Car, à l'évidence, la reconstruction post-conflit, estimée à 1 000 milliards de dollars, dépendra en large part de la monétisation de ces ressources.
Patrice Geoffron
Membre du Cercle des économistes
Professeur à l'université Paris-Dauphine
patrice.geoffron@dauphine.fr