La jeunesse, nouveau porte-étendard des religions en France
information fournie par Boursorama avec Media Services 21/11/2025 à 16:54

C'est un phénomène, qui va à contre-courant de la tendance générale à la sécularisation : la France comptait 42,6% de non-croyants en 2020 contre 34,5% en 2010.

( AFP / MUSTAFA OZER )

La religion connaît un regain d'intérêt chez les jeunes français, illustrée par un récent sondage qui pointe la forte religiosité des jeunes musulmans. Pour plusieurs experts, cette tendance, parfois stricte, s'inscrit dans un mouvement générationnel qui traverse les religions.

L'enquête Ifop, pour un sondage commandé par le média confidentiel Écran de veille , qui chiffre à 7% le pourcentage de musulmans en France, a provoqué de vives réactions, l'extrême droite dénonçant un signe d'"islamisation" , tandis que des représentants de la communauté musulmane ont regretté "une stigmatisation" .

Ce sont surtout les réponses des 18-25 ans qui ont retenu l'attention : sur un échantillon de 291 jeunes musulmans, 87% se considèrent religieux, 67% disent prier "au moins une fois par jour", 83% font le ramadan ... et 81% jugent que "c'est plutôt la religion qui a raison" face à la science sur la création du monde.

Plusieurs chercheurs rappellent que la forte religiosité des jeunes, flirtant parfois avec la radicalité, n'est pas l'apanage de l'islam. "Dans le protestantisme le taux de pratique chez les personnes âgées était de loin le plus élevé il y a trente ans. Aujourd'hui, c'est complètement l'inverse. Il y a eu une bascule spectaculaire en une ou deux générations", affirme le sociologue Sébastien Fath. Dans une étude commandée par la Fédération protestante (FPF) en juin, 71% des protestants de moins de 35 ans disent la foi "très importante" pour eux (échantillon de 302 personnnes).

Changement notable : "On n'est plus du tout dans l'observance traditionnelle, mais dans une pratique de choix personnel, plus proche du modèle du converti", ajoute Sébastien Fath. Il est donc logique, note le sociologue, que les jeunes affluent dans les églises évangéliques, avec leur accent sur la conversion personnelle et leur liturgie plus souple, accordant une grande part à la musique.

L'Église catholique se félicite elle d'une hausse des baptêmes des jeunes (+33% l'an dernier pour les adolescents) et du succès du scoutisme ou des pèlerinages. Un engouement qui se traduit, pour certains, par une vision très traditionnelle: interrogés par VisActu pour le journal La Croix en mai 2023, 38% des participants aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) disaient apprécier la messe en latin.

"Une forme de radicalité spécifique à la jeunesse"

Pourquoi un tel phénomène, qui va à contre-courant de la tendance générale à la sécularisation ? Selon une étude du Pew Institute, la France comptait 42,6% de non-croyants en 2020 contre 34,5% en 2010 .

Il s'agit là de la génération Tik-Tok: à l'heure des réseaux sociaux, " on n'a pas honte de la religion, on l'affirme : pour exister aujourd'hui, il faut afficher son identité", affirme Sébastien Fath.

Il y a aussi les incertitudes liées à l'économie, l'environnement et la quête de sens : les crises sont "un temps favorable à l'introspection, qui conduit au développement d'une quête spirituelle", explique l'historien Charles Mercier. La logique de cette génération est que "chacun doit être libre de pratiquer et de croire comme il veut, y compris de manière intense, à condition de ne pas empiéter sur la liberté d'autrui", ajoute-t-il.

Ainsi, le sondage Ifop révèle que les jeunes musulmans intensifient leur rapport à la religion, et adoptent une version plus radicale, "mais cela va de pair avec une acceptation du cadre libéral, comme le montre la forte augmentation de la reconnaissance du droit à l'apostasie" (73% jugent acceptable de rompre avec l'islam).

Soulignant "une forme de radicalité spécifique à la jeunesse", le politiste Haouès Seniguer note que l'intensification de la pratique religieuse chez les musulmans peut aussi être liée à un ressenti "de stigmatisation, de mise à l'index" où les jeunes "se lancent dans un genre de surenchère".

Pour autant il qualifie de raccourci "grossier et réducteur" l'idée, sous-jacente selon lui au sondage, qu'une observance stricte de l'islam soit la porte d'entrée mécanique vers l'islamisme.

Le recteur de la Grande mosquée de Paris, Chems-eddine Hafiz, déplore lui aussi des questions "mal posées" du fait d'une "ignorance théologique". Prenant l'exemple de la charia, dont 46% des sondés disent souhaiter l'application, il renvoie à une autre enquête Ifop commandée en septembre par la Grande mosquée : "Trois musulmans sur quatre ne mettent aucun projet politique derrière ce mot", mais lui donnent un sens éthique ou religieux, affirme-t-il.