L'interdiction des réseaux sociaux en Australie, une fenêtre d'observation inédite information fournie par AFP 01/12/2025 à 08:40
Les chercheurs restent divisés sur les preuves scientifiques justifiant une interdiction des réseaux sociaux pour les moins de 16 ans prévue par l'Australie, mais certains y voient une fenêtre d'observation inédite pour mieux comprendre leur effet sur les cerveaux des plus jeunes.
Les partisans de l'interdiction qui doit entrer en vigueur le 10 décembre mettent en avant le grand nombre d'études suggérant que les jeunes passent trop de temps en ligne, au risque de mettre en péril leur santé mentale.
Les cerveaux des adolescents sont encore en développement jusqu'à leur vingtaine, souligne la psychologue Amy Orben, qui dirige un programme sur la santé mentale à l'Université de Cambridge.
"La technologie évoluant rapidement, le corpus de preuve sera toujours incertain", déclare-t-elle à l'AFP. Mais une "énorme quantité" d'études basées sur des observations ont établi une corrélation entre l'utilisation de la technologie par les adolescents et une moins bonne santé mentale, note-t-elle.
Il est difficile de tirer des conclusions définitives, reconnaît-elle, car l'utilisation du mobile est ancrée dans la vie quotidienne, et parce que des jeunes qui souffrent déjà de troubles mentaux peuvent se tourner vers les réseaux sociaux.
"L'évaluation de l'interdiction en Australie sera extrêmement importante car cela nous fournira une fenêtre sur ce qui peut se passer" et permettra de comparer les données, souligne-t-elle.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié l'an dernier un sondage montrant que 11% des adolescents peinent à contrôler leur usage des réseaux sociaux.
D'autres études ont montré un lien entre un usage excessif des réseaux sociaux et des difficultés à trouver le sommeil, des problèmes liés à l'image corporelle ou un risque accru d'anxiété et de dépression.
- Agir sans attendre -
Une étude de 2019 sur les écoliers américains publiée dans la revue scientifique JAMA Psychiatry a conclu que les enfants qui passaient plus de trois heures par jour sur les réseaux sociaux pouvaient être exposés à un risque accru de problèmes de santé mentale.
Certains chercheurs appellent à agir sans attendre.
"Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une question scientifique, mais d'une question de valeurs", estime Christian Heim, psychiatre australien et directeur d'une unité clinique de santé mentale.
"On parle de faits comme du harcèlement en ligne, de risque suicidaire, d'avoir accès à des sites pouvant promouvoir l'anorexie ou l'automutilation", explique-t-il à l'AFP.
"Nous ne pouvons pas attendre d'avoir plus de preuves", dit-il, citant notamment une étude de 2018 du chercheur en neurosciences Christian Montag liant l'addiction à la messagerie chinoise WeChat à une diminution de la matière grise dans certaines parties du cerveau.
Selon Scott Griffiths, de l'École de sciences psychologiques de Melbourne, il est peu probable de voir émerger bientôt une "étude scientifique irréfutable" prouvant les méfaits des réseaux sociaux. Mais pour lui, leur interdiction vaut la peine d'être tentée.
- "Trop radical" -
Plus des trois quarts des adultes australiens étaient en faveur de la nouvelle législation avant son adoption, selon un sondage.
Cependant, 140 universitaires et experts ont signé une lettre ouverte avertissant que l'interdiction risquait d'être un "instrument trop radical".
"Les gens se disent: les jeunes sont plus angoissés, il doit y avoir une raison, interdisons les réseaux sociaux", résume Axel Bruns, professeur de médias numériques à l'Université de Technologie du Queensland en Australie.
Mais les jeunes pourraient simplement avoir plus de raisons d'être angoissés, à cause d'une scolarité perturbée par la pandémie ou des guerres à Gaza et en Ukraine, dit-il à l'AFP.
Une interdiction pourrait pousser des adolescents vers des sites alternatifs aux contenus plus extrêmes, tout en empêchant certains jeunes marginalisés de trouver le soutien d'une communauté en ligne.
Noelle Martin, une militante contre le harcèlement lié à l'image corporelle et les deepfakes (photos ou vidéos truquées grâce à l'intelligence artificielle) craint, elle, que cette mesure soit peu efficace, au vu des difficultés du pays à appliquer les lois existantes.
"Je ne crois pas que cela arrêtera, empêchera ou traitera efficacement ce problème", s'inquiète-t-elle.
Toujours est-il que l'Australie a pris sa décision.
"Les réseaux sociaux causent du tort à nos enfants", a affirmé cette année le Premier ministre Anthony Albanese.
"Il ne fait aucun doute que les enfants australiens sont affectés de façon négative par les plateformes en ligne, alors je dis: ça suffit."