L'assassinat aux USA d'une figure conservatrice expose la polarisation politique du pays
information fournie par Reuters 11/09/2025 à 05:14

par James Oliphant, Bo Erickson et Trevor Hunnicutt

Ce qui devait être mercredi une minute de silence à la Chambre américaine des représentants en hommage à l'activiste conservateur Charlie Kirk, abattu dans la journée lors d'un événement dans l'Etat de l'Utah, a donné lieu à des cris et des blâmes, un épisode illustrant l'acrimonie politique qui divise profondément les Etats-Unis.

Alors que se répandait l'information selon laquelle Charlie Kirk, 31 ans, a été tué par balle, les élus de la Chambre ont commencé à débattre de la meilleure façon d'honorer la mémoire de cet activiste ayant joué auprès des jeunes un rôle crucial en faveur de Donald Trump lors de la campagne présidentielle américaine l'an dernier.

Laurent Boebert, élue républicaine du Colorado, a levé la main afin de demander si un volontaire était prêt à réciter une prière. "Les prières silencieuses donnent des résultats silencieux", a-t-elle dit.

Certains démocrates ont alors demandé pourquoi les assassinats de personnalités moins connues n'avaient pas suscité le même émoi, a rapporté un élu ayant assisté à la scène, ce qui a déclenché des injures et des accusations de politisation des tragédies.

Le 'speaker' de la Chambre, le républicain Mike Johnson, a tenté de ramener l'ordre depuis le perchoir. "Adoptez une loi sur les armes !", a crié une personne non-identifiée.

Charlie Kirk, cofondateur de l'association conservatrice Turning Point USA et fervent partisan de Donald Trump, a été abattu alors qu'il s'exprimait lors d'un large rassemblement en plein air à l'université de la Vallée de l'Utah, à Orem.

On ne connaît pas dans l'immédiat le motif de l'attaque. Un doute subsistait mercredi soir sur l'arrestation du suspect. Le gouverneur républicain de l'Utah, Spencer Cox, a dénoncé un "assassinat politique".

"QUE CELA CESSE"

Nombre de conservateurs ont été révoltés par l'annonce de la mort de Charlie Kirk et ont blâmé les libéraux, tandis que les élus démocrates ont globalement adopté un ton plus réservé, dénonçant les violences politiques dans leur ensemble et appelant de nouveau à des lois plus strictes sur le contrôle des armes à feu.

C'est un débat que les parlementaires ne connaissent que trop bien. Il revêt pour certains un caractère très personnel.

"Il n'y a aucune excuse pour la violence politique dans notre pays. Elle doit prendre fin", a déclaré Steve Scalise, numéro deux dans la hiérarchie des élus républicains à la Chambre des représentants, qui a réchappé en 2017 à une attaque par arme à feu alors qu'il participait à un entraînement de baseball avec une équipe du Congrès.

"Nous avons vu ce problème croître, il faut y répondre. Il faut que cela cesse", a-t-il ajouté.

Les réactions divergentes laissent supposer que la mort de Charlie Kirk va seulement étendre le fossé politique béant aux Etats-Unis, comme l'avaient fait l'an dernier les deux tentatives d'assassinat contre Donald Trump.

Comme un triste symbole, le pays n'a plus été uni dans la tragédie depuis près d'un quart de siècle, après les attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington dont le vingt-quatrième anniversaire est commémoré jeudi.

Avant même que le tireur ne soit identifié, des figures de la droite ont décrit mercredi l'incident comme une illustration de l'assaut plus large mené par la gauche contre le conservatisme.

"L'Amérique a perdu l'un de ses meilleurs chantres", a écrit le secrétaire général adjoint de la Maison blanche, Stephen Miller, sur le réseau social X. "Nous devons tous désormais nous consacrer à vaincre le mal qui a enlevé Charlie à ce monde".

"PAS DE PITIÉ"

Fidèle du mouvement trumpiste MAGA ("Make America Great Again"), Laura Loomer, à laquelle le président américain prête généralement attention, a appelé à une "répression de la gauche avec la pleine puissance du gouvernement".

"Chaque groupe de gauche qui finance des manifestations violentes doit être fermé et poursuivi en justice. Pas de pitié", a-t-elle ajouté.

Plus virulent encore, le milliardaire Elon Musk, soutien financier de la campagne de Donald Trump l'an dernier et un temps conseiller du président américain, a déclaré sur le réseau social X, qu'il possède: "La gauche est le parti du meurtre".

Donald Trump, qui a pour habitude de décrire ses rivaux politiques comme des "lunatiques de la gauche radicale" et de les présenter comme une menace existentielle pour les Etats-Unis, a dit penser que la fusillade de mercredi était la conséquence d'une rhétorique incendiaire.

"Violence et meurtre sont les conséquences tragiques de la diabolisation de ceux avec lesquels vous êtes en désaccord - jour après jour, année après année - de la manière la plus haineuse et ignoble qui soit", a-t-il dit sur son réseau social Truth.

Chez les démocrates, le ton a été plus mesuré. "Nous ne connaissons pas encore les motivations de la personne qui a tué par balle Charlie Kirk, mais ce genre de violence ignoble n'a aucune place dans notre démocratie", a déclaré l'ancien président Barack Obama dans un communiqué.

"LE PEUPLE PERD TOUJOURS"

Exception notable: le gouverneur démocrate de l'Illinois, J.B. Pritzker, considéré comme un possible candidat à l'élection présidentielle américaine de 2028, a directement pointé du doigt Donald Trump pour avoir encouragé la violence politique.

"Il faut que cela cesse", a-t-il dit à des journalistes. "Il y a dans ce pays des gens qui fomentent (la violence). La rhétorique du président la fomente souvent".

La population américaine rejette majoritairement toute violence politique. Une enquête d'opinion réalisée par Reuters en octobre dernier montre qu'une minorité infime (6%) des personnes interrogées disent penser qu'il est "acceptable" pour un membre de leur parti politique de "menacer et/ou intimider autrui à des fins politiques".

D'après Ruth Braunstein, professeure de sociologie à l'université Johns Hopkins, l'assassinat de Charlie Kirk est à même d'"enflammer" davantage les tensions politiques dans le pays qui, a-t-elle dit, sont "déjà bien trop importantes".

L'un des directeurs de Brady, ONG luttant contre la violence par arme à feu, a exhorté républicains et démocrates à trouver un terrain d'entente sur le contrôle des armes.

"La violence par arme à feu est indiscriminée. Elle ne regarde pas la carte d'adhésion à un parti. Et le peuple américain perd toujours", a déclaré Christian Heyne sur le réseau social BlueSky. "Nous savons que le changement est possible. Nous devons arrêter de prétendre qu'il y a des 'camps' et lutter ensemble pour construire un avenir plus sûr".

(James Oliphant, Bo Erickson et Trevor Hunnicutt, avec la contribution de Jason Lange, Nolan McCaskill, Jeff Mason et Andrea Shalal; version française Jean Terzian)