Infrastructures, défense, frein à l'endettement : le "grand bazooka" budgétaire allemand à la loupe
information fournie par Boursorama avec Media Services 05/03/2025 à 15:11

En pourparlers pour former une coalition, les conservateurs (CDU) et les sociaux-démocrates (SPD) ont présenté mardi un plan inédit d'investissements dans la défense et l'économie, déjà qualifié de "grand bazooka" budgétaire, qui acte un changement d'époque pour l'Allemagne.

Friedrich Merz, le 4 mars 2025, à Berlin ( AFP / RALF HIRSCHBERGER )

Que contient ce plan ?

Alors qu'ils viennent juste de commencer à discuter de la formation d'un gouvernement, les deux partis se sont déjà mis d'accord sur deux mesures phares : une réforme du fameux "frein à l'endettement" ("Schuldenbremse") et un fonds géant d'investissements pour les infrastructures.

Toutes les dépenses de défense dépassant le seuil de 1% du Produit intérieur brut (PIB) allemand, soit au-dessus de 45 milliards d'euros environ, ne seront plus décomptées dans le dispositif du "frein à l'endettement", d'après le projet.

Ce dernier limite le déficit budgétaire annuel du gouvernement à 0,35% du PIB.

Les dépenses militaires pourraient ainsi atteindre au moins 100 milliards d'euros par an, selon l'une des négociatrices du SPD, soit deux fois plus qu'actuellement.

D'autre part, un fonds spécial de 500 milliards d'euros sur 10 ans sera mis sur pied pour rénover les infrastructures et rendre "plus compétitive" l'économie en récession.

Ce fonds, qui ne serait pas soumis aux règles d'endettement, "apporterait un soutien économique à court terme et augmenterait le potentiel de croissance à long terme", analyse Carsten Brzeski, de la banque ING.

Le SPD et la CDU veulent aussi autoriser les États régionaux à faire du déficit, jusqu'à 0,35% du PIB allemand chaque année.

Comment va-t-il être adopté?

L'actuelle chambre des députés, le Bundestag, devrait se réunir la semaine prochaine avant qu'elle ne soit dissoute fin mars et remplacée par la nouvelle issue du récent scrutin législatif.

Le plan d'investissements nécessitant une modification de la constitution, il faut donc que conservateurs et sociaux-démocrates obtiennent l'approbation de deux tiers des députés.

Ce qui est possible avec le soutien des élus écologistes, également favorables à un assouplissement des règles d'endettement.

Adopter ce grand plan serait plus complexe à partir du 25 mars, quand siégeront les députés nouvellement élus dans un Bundestag où l'extrême droite AfD et la gauche radicale die Linke disposeront d'une minorité de blocage.

Pourquoi ce plan est-il inédit ?

L'Allemagne s'affranchit de ses dogmes de rigueur budgétaire en planifiant des emprunts massifs. Avec un niveau de dette publique à 63% du PIB, l'un des plus faibles de la zone euro, elle peut se le permettre.

Les montants annoncés dépassent ceux des plans de soutien adoptés face à la pandémie de Covid-19 et au début de la guerre en Ukraine, qui a bouleversé l'approvisionnement énergétique.

Le revirement est d'autant plus remarquable que les conservateurs emmenés par Friedrich Merz s'affichaient pendant la campagne électorale en ennemis des "orgies de dépenses".

Carsten Brzeski n'exclut pas que certains ténors du camp CDU/CSU s'opposent à l'assouplissement prévu, ce qui "minerait fortement le leadership de Friedrich Merz".

Car ce sont les conservateurs qui avaient inscrit la "Schuldenbremse" dans la constitution en 2009, du temps de la chancelière Angela Merkel (2005-2021), prélude à des années de stabilité budgétaire.

Critiqué par les sociaux-démocrates et les Verts, soutenu mordicus par les libéraux, ce mécanisme était au cœur de presque tous les désaccords de la coalition du chancelier sortant Olaf Scholz, qui a implosé en novembre.

Quels problèmes l'Allemagne veut-elle résoudre ?

L'armée allemande souffre de plusieurs décennies de sous-investissement, malgré un plan de réarmement de 100 milliards d'euros décidé en février 2022 après le début de la guerre en Ukraine.

L'Allemagne ne voit pas la sortie de la crise économique, après deux années consécutives de récession, et une troisième qui se profile.

Pilier de la richesse nationale, son industrie souffre de coûts de l'énergie élevés, d'un recul des exportations et d'une perte de vitesse face à ses concurrents chinois et américains.

Routes, ponts, réseau internet: les infrastructures du pays doivent aussi être modernisées.

"Contracter de nouvelles dettes ne résoudra pas nos problèmes", met cependant en garde Veronika Grimm, membre du conseil des sages économiques auprès du gouvernement.

"Sans réformes, c'est un chemin vers l'abîme", a-t-elle déclaré dans la presse. Ces réformes structurelles de la fiscalité et des retraites sont nécessaires compte tenu de l'augmentation des dépenses sociales et du vieillissement démographique, fait-elle valoir, préconisant également des baisses d'impôts pour les entreprises.