France: Un rapport dénonce "l'entrisme par le bas" des Frères musulmans
information fournie par Reuters 21/05/2025 à 17:26

Le Palais de l'Élysée, à Paris

Un rapport examiné mercredi en conseil de défense par Emmanuel Macron et plusieurs membres du gouvernement dénonce l'entrisme "par le bas" exercé en France par l'organisation islamiste des Frères musulmans, qui constituerait selon ses auteurs "une menace pour la cohésion nationale".

Le chef de l'Etat a décidé de publier le document d'ici la fin de la semaine et demandé à l'exécutif de faire des propositions qui seront examinées lors d'un prochain conseil de défense début juin "face à la gravité des faits établis", a déclaré l'Elysée.

Le rapport de 73 pages, commandé il y a un an à deux hauts fonctionnaires et remis en septembre 2024 au ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, a été obtenu par Reuters dans une version expurgée de passages confidentiels.

Il dépeint un entrisme "à un échelon local plus que national" de l'islamisme "intégraliste" théorisé par la confrérie fondée en Egypte par Hassan al-Banna en 1928, jugé aujourd'hui "déclinant" en Afrique du Nord et au Moyen-Orient mais "dynamique" en Europe où il s'est implanté dès les années 1950 pour fuir la répression dans ses régions d'origine.

"Si un 'risque frériste' existe bel et bien, il doit être évalué à sa juste mesure, notamment au niveau national", notent les auteurs en estimant de 400 à 1.000 au grand maximum le nombre de personnes appartenant au "cercle restreint" pilotant la branche française, via notamment la fédération Musulmans de France, présentée comme la principale émanation des Frères musulmans dans l'Hexagone, ce dont elle se défend.

"En revanche, le danger d'un islamisme municipal, composite au plan idéologique mais très militant, avec des effets croissants dans l'espace public et le jeu politique local, apparaît bien réel", écrivent-ils.

"L'objectif ultime est de faire basculer toute la société française dans la charia [loi islamique], et ça c'est inacceptable", a déclaré mardi devant des journalistes Bruno Retailleau.

"Il faut prendre ce problème à bras-le-corps", a insisté mercredi le ministre lors des questions d'actualité au Sénat, martelant "sa ferme intention de combattre le frérisme".

Une vision "pessimiste" que ne partage pas le chercheur Haoues Seniguer, selon qui les Frères musulmans d'aujourd'hui "sont porteurs d’un islam conservateur, qui participe à la vie de la société civile, mais (...) n’ont absolument pas pour vocation ou pour but de transformer la société française en une société 'charia compatible', ça n’a absolument aucun sens".

MÉLENCHON FUSTIGE DES "THÈSES DÉLIRANTES"

Le rapport lui-même, dans sa conclusion, observe qu'"aucun document récent ne démontre la volonté de Musulmans de France d'établir un Etat islamique en France ou d'y faire appliquer la charia". Il estime plutôt que cette diffusion de l'islamisme municipal par le bas, qui ne se situe pas dans un "séparatisme agressif" de type salafiste, "fait peser le risque d'une atteinte au tissu associatif et aux institutions républicaines".

Le document insiste en particulier sur les actions menées par les Frères musulmans dans le secteur éducatif et social à travers un réseau d'écoles confessionnelles et d'associations caritatives et le rôle de relais auprès des jeunes d'un certain nombre d'influenceurs via les réseaux sociaux.

Il recense 140 lieux de culte (sur 2.800 environ dans le pays) gérés par Musulmans de France, ainsi qu'environ 280 associations, une vingtaine d'établissements d'enseignement général, dont le lycée lillois Averroès, et une centaine d'écoles coraniques (hors outremer et Paris) liés à la mouvance.

La publication du document a donné une nouvelle occasion à la classe politique française de se positionner sur le sujet, récurrent et sensible, de la lutte contre l'islamisme radical dans un pays où vivent plusieurs millions de musulmans.

Avec ce conseil de défense qui "accrédite les thèses délirantes de Retailleau et de Le Pen", "l'islamophobie franchit un seuil", a estimé le chef de file de La France insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon. "Ça suffit, vous allez détruire notre pays", a-t-il ajouté dans un message sur X.

Le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, s'est prononcé pour l'interdiction des Frères musulmans que le député européen, potentiel candidat à l'Elysée, veut placer au rang d'"organisation terroriste".

Premier ministre au moment de la commande du rapport, le président du groupe Ensemble pour la République à l'Assemblée, Gabriel Attal, a jugé qu'il s'agissait d'une "claque pour la République" et proposé de bannir le voile islamique dans l'espace public pour les jeunes femmes de moins de 15 ans et de créer un délit de contrainte au port du voile contre les parents qui forceraient leurs filles à cela.

Haoues Seniguer, qui enseigne à Sciences-Po Lyon, estime qu'"il y a un vrai débat à avoir au sein des islams pour entretenir une vision pluraliste". "Mais il ne peut pas être mené dans le brouhaha actuel", déplore-t-il.

(Rédigé par Jean-Stéphane Brosse, avec la contribution de Juliette Jabkhiro et Elizabeth Pineau, édité par Blandine Hénault)