En Ukraine, le travail de Sisyphe des ingénieurs d'une centrale électrique
information fournie par AFP 18/11/2025 à 10:29

Des employés de DTEK travaillent au milieu des décombres d'une centrale électrique endommagée par des attaques aériennes russes. ( AFP / Roman PILIPEY )

Frappée, réparée, frappée à nouveau... Dans cette centrale électrique ukrainienne, le travail des ingénieurs ne s'arrête jamais face aux bombardements russes, qui réduisent périodiquement à néant leurs efforts de réparation. Une "punition" qui est aussi vécue comme un défi.

Cette installation de l'opérateur privé DTEK, où l'AFP a pu se rendre dans le cadre d'une visite de presse pour échanger avec des interlocuteurs choisis et à condition de ne pas en révéler la localisation, a été endommagée à plusieurs reprises par des tirs russes en octobre et en novembre.

Sur place, des volutes de fumée s'élèvent d'un imposant générateur, encore en feu, au centre d'un amalgame de métal noirci qui fut le coeur de la centrale. Autour des installations, de larges sacs de sable protègent les infrastructures critiques, certains criblés d'impacts.

Un employé soulève des décombres une plaque de carbone marquée d'inscriptions en cyrillique: le fragment d'aile d'un drone Gueran-2.

"Sisyphe était puni pour ses péchés. Nous, c'est un peu différent... On ne sait pas pourquoi on a été puni", résume Oleksandre, responsable chargé de la production dans cette centrale, âgé de 53 ans.

Figure de la mythologie grecque devenue proverbiale, Sisyphe était condamné par les dieux à pousser éternellement un rocher jusqu'au sommet d'une montagne pour le voir retomber sans cesse et devoir recommencer. Un labeur répétitif, pénible et par certains aspects absurde.

Si Oleksandre voit la similitude avec son propre effort à réparer la centrale, il assure qu'il "continuera à hisser cette pierre jusqu'au sommet de la montagne" en espérant qu'elle retombe un jour de l'autre côté, russe, et non du sien.

- "Frustration" -

Des employés font une pause durant les réparations d'une centrale énergétique DTEK endommagée par les attaques aériennes russes. ( AFP / Roman PILIPEY )

En attendant, "nous retroussons nos manches, nous nous remettons au travail", poursuit Oleksandre, tout en énumérant les émotions qu'il ressent après chaque frappe: "frustration, colère..."

Depuis des semaines, la Russie intensifie ses attaques de drones et de missiles sur l'Ukraine, ce que Kiev qualifie de stratégie visant à épuiser la population en lui faisant subir le froid et l'obscurité pendant l'hiver.

Lors des hivers précédents, des millions de personnes ont été privées d'électricité en plein cœur de l'hiver.

Les frappes russes de ces dernières semaines ont déjà touché de nombreuses centrales éléctriques et installations gazières, provoquant des coupures de courant à travers le pays.

Après les premières attaques sur leur centrale, les ingénieurs étaient parvenus à lui faire retrouver 100% de ses capacités, puis "ce qui devait arriver arriva": une nouvelle frappe, encore plus dévastatrice.

Cette attaque, qui a eu lieu au cours des dernières semaines, "a été la plus grave des quatre dernières années parmi toutes ces dizaines d'attaques que notre station a subie", explique Oleksandre.

L'équipe avait été placée en alerte dès qu'elle a reçu l'annonce que des avions russes s'apprêtaient à faire feu.

La centrale électrique endommagée par les attaques aériennes russes avait déjà été réparée par le passé après un bombardement identique. ( AFP / Roman PILIPEY )

A ce moment là, "c'est impossible de ne pas avoir peur", raconte Oleksandre: "Mais tout le monde se rassemble, fait son travail et se soutient mutuellement".

Lors de la dernière frappe, malgré les dégâts, les employés sont parvenus à maîtriser l'incendie pour qu'il ne s'étende pas. Et le personnel s'en est sorti indemne, à l'abri dans un atelier.

- "Encore vivant" -

Dans les bureaux de la centrale, le chaos témoigne de l'impact: les murs se sont affaissés et la grande mosaïque soviétique qui trônait autrefois dans le hall s'est répandue au sol.

Eclairé par la lueur des lampes suspendues au plafond éventré, Vassyl, un superviseur de garde âgé de 58 ans, se souvient encore du "décor" qui lui est "tombé sur la tête".

"Mais je suis encore vivant", lance-t-il, voyant dans son travail sa "ligne de front" personnelle. Son fils, âgé de 25 ans, combat lui au sein de l'armée depuis le début de l'invasion russe en 2022.

La réparation des installations endommagées demande des efforts mais aussi des fonds, l'Ukraine restant très dépendante de l'aide de ses partenaires européens pour restaurer ses capacités.

"Le défi le plus proche est l'hiver. Pour nous, passer l'hiver dans de telles conditions est très difficile, cela demande beaucoup d'efforts", confirme Oleksandre, qui comme beaucoup "rêve que la guerre se termine".

Un membre de DTEK se tient dans les bureaux endommagés de la centrale, où se trouvaient des employés pendant l’attaque russe. ( AFP / Roman PILIPEY )

Malgré les défis, "nous n'abandonnerons pas, nous travaillerons et nous restaurerons", lance-t-il.