En reportant à nouveau les droits de douane, Trump provoque espoir et confusion
information fournie par Reuters 09/07/2025 à 00:01

par David Lawder, Andrea Shalal et Timothy Aeppel

Le nouveau report de l'entrée en vigueur de vastes droits de douane, initialement prévue mercredi, annoncé par le président américain Donald Trump a offert un peu d'espoir à d'importants partenaires commerciaux des Etats-Unis, tels le Japon, la Corée du Sud et l'Union européenne, désireux de sceller des accords bilatéraux pour éviter des taxes élevées.

Mais l'annonce effectuée en début de semaine par le chef de la Maison blanche a également déconcerté des pays dont les exportations vers les Etats-Unis sont moins importantes, comme l'Afrique du Sud, et plongé à nouveau les entreprises dans un brouillard épais s'agissant des perspectives.

Via des lettres, adressées pour l'heure à 14 pays, Donald Trump a lancé ce qu'il a présenté comme un ultime avertissement avant la mise en place des taxes douanières dites "réciproques", allant de 25% à 40%, dont il a également repoussé lundi l'entrée en vigueur au 1er août, au lieu du 9 juillet.

S'il a déclaré lundi soir devant des journalistes que cette date était "ferme, mais pas ferme à 100%", le président américain a souligné mardi via son réseau social Truth qu'"aucune extension ne sera accordée".

L'ancien magnat de l'immobilier semble s'impatienter du peu d'avancées dans des négociations commerciales plus longues et plus compliquées qu'il ne le souhaitait, lui qui en avril, suspendant déjà, pour trois mois, l'application des taxes réciproques annoncées quelques jours plus tôt, avait promis "90 accords en 90 jours".

Donald Trump a alimenté mardi la guerre commerciale mondiale qu'il a ouverte depuis le début de son second mandat, annonçant sa volonté de taxer les importations de cuivre à 50% et répétant qu'il entendait imposer d'importants droits de douane sur les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques.

Il privilégie de longue date la mise en place de droits de douane à la tenue de fastidieuses négociations commerciales qui impliquent généralement que certains pays fixent des lignes rouges et réclament également à Washington des concessions.

"ILS NE PLIENT PAS"

A Tokyo, le Premier ministre japonais Shigeru Ishiba préfère voir le positif, faisant savoir que son gouvernement était désireux de poursuivre les négociations avec les Etats-Unis en vue d'obtenir un accord qui "profitera aux deux pays, tout en protégeant l'intérêt national du Japon".

Face à la perspective de droits de douane de 25% sur la plupart de ses produits, Tokyo cherche à obtenir un accord pour éviter les taxes de 25% annoncées séparément par Donald Trump pour l'ensemble des importations automobiles aux Etats-Unis, alors qu'il s'agit d'un secteur crucial pour le Japon.

Considéré un temps comme l'un des pays en mesure de sceller rapidement un accord commercial avec l'administration Trump, le Japon doit composer avec la perspective d'élections à la chambre haute du Parlement, le 20 juillet, un scrutin que le Parti libéral-démocrate de Shigeru Ishiba ne veut pas risquer de perdre en effectuant de nombreuses concessions à Washington.

"Ces pays ne plient pas", a commenté William Reinsch, ancien représentant du département américain du Commerce et désormais conseiller auprès du Centre d'études stratégiques et internationales, basé à Washington.

"Ils ne donnent pas (à Donald Trump) ce qu'il veut, donc il a ajouté une autre menace", a-t-il poursuivi. "Il a fixé un nouveau pourcentage et a repoussé la date butoir".

En Corée du Sud, où le président Lee Jae-myung est en poste depuis à peine un mois, le gouvernement a aussi promis d'intensifier les discussions avec Washington en vue d'un "résultat mutuellement bénéfique". Des analystes ont toutefois noté que Séoul ne voulait pas se retrouver dans une situation de désavantage par rapport au Japon et que Lee Jae-myung ne voulait pas être "un pigeon" face à Donald Trump.

Le président du Conseil économique de la Maison blanche, Stephen Miran, a déclaré mardi sur la chaîne de télévision Fox News que des accords commerciaux supplémentaires pourraient être conclus d'ici la fin de la semaine à condition, a-t-il précisé, que les pays concernés répondent aux demandes que Donald Trump juge indispensables.

L'UE ESPÈRE DES EXEMPTIONS POUR CERTAINS SECTEURS

Depuis l'annonce des taxes réciproques en avril, seuls des accords avec la Grande-Bretagne et le Vietnam ont été annoncés par Washington.

Si l'Inde semblait particulièrement proche d'un accord, un flou demeurait à propos de pays plus petits, comme l'Afrique du Sud, la Thaïlande et la Malaisie, potentiellement visées par des droits de douane de 30%, 36% et 25% respectivement.

Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a exprimé son opposition à la décision de Donald Trump, la considérant comme sans mesure avec le pourcentage moyen des droits de douane prélevés par l'Afrique du Sud (7,6%). Il a toutefois ordonné à ses négociateurs de "dialoguer d'urgence" avec l'administration américaine.

Reste que Washington pourrait être focalisé sur ses discussions avec des partenaires commerciaux plus importants, comme l'UE, laquelle, a prévenu mardi Donald Trump, pourrait recevoir sous deux jours une lettre d'avertissement à propos des droits de douane.

Le président américain entend pour l'heure taxer la plupart des produits européens à 20%, contre le seuil minimal de 10% qu'il a fixé en avril lors de ce qu'il a présenté comme le "Jour de la Libération" (Liberation Day).

Des sources au fait des négociations entre Washington et Bruxelles ont déclaré à Reuters qu'un accord pourrait prévoir des exemptions pour le secteur aéronautique, les équipements médicaux et les spiritueux. L'UE entend également obtenir de l'administration américaine des droits de douane inférieurs à 25% pour certains constructeurs automobiles.

"DES PERTES SIMPLEMENT À CAUSE DE L'INCERTITUDE"

En avril, après avoir annoncé les taxes "réciproques" de 11% à 50% sur les produits en provenance de dizaines de pays, Donald Trump était rapidement revenu sur sa décision face aux secousses provoquées sur les marchés financiers. Il avait abaissé dans la plupart des cas ces droits de douane au seuil "plancher" de 10%.

Aux yeux de Ryan Majerus, lui aussi ancien représentant du département américain du Commerce, le sursis de trois mois décidé début avril par Donald Trump n'a pas engendré les résultats escomptés. Le président américain cherche désormais à maximiser ses leviers de négociation, a-t-il dit.

"Ils vont tenter de déterminer jusqu'où ils peuvent aller, en particulier pour les pays avec lesquels il n'y a pas eu de mouvements dans les discussions", a déclaré Ryan Majerus, associé du cabinet d'avocats King and Spalding, à Washington.

La solidité retrouvée par les marchés financiers et des données économiques récentes confèrent à Donald Trump une certaine marge de manoeuvre, a-t-il ajouté, mais le temps est compté. Les négociations se compliquent par ailleurs quand il s'agit des ultimes détails, a-t-il souligné.

Le report de l'entrée en vigueur des droits de douane américains n'a pas vraiment offert de répit aux entreprises tentant de déterminer la politique commerciale effective de Donald Trump.

Des dirigeants de sociétés ont déclaré que les rebondissements incessants les empêchaient de prendre des décisions sur le long-terme, alors qu'ils sont désireux d'adapter leurs chaînes d'approvisionnement et leurs structures de coûts pour éviter des prix plus élevés avec les droits de douane.

"Aucune compagnie ne peut réellement se préparer à tout cela", a déclaré Hubertus Breier, directeur technique de Lapp Holdings, firme familiale allemande qui produit des câbles et autres produits destinés aux usines. "Nous enregistrons déjà des pertes simplement à cause de l'incertitude d'une situation qui change tous les jours", a-t-il ajouté.

Comme nombre d'entreprises, Lapp fait face à un choix délicat: absorber les coûts supplémentaires ou les répercuter sur les prix de ventes à ses consommateurs. A long-terme, avec des prix et des coûts plus élevés, a déclaré Hubertus Breier, l'existence même de l'entreprise pourrait être menacée.

(David Lawder et Andrea Shalal à Washington, Timothy Aeppel à New York, Max Schwarz et Tilman Blasshofer à Francfort; version française Jean Terzian)