En Croatie, la banalisation de l'ultra-nationalisme et la montée du révisionnisme
information fournie par AFP 01/12/2025 à 16:53

Des fans du chanteur croate nationaliste Marko Perkovic Thompson rassemblés à Zagreb pour un concert du chanteur, le 5 juillet 2025 ( AFP / Damir SENCAR )

La multiplication des discours ultranationalistes et la montée du révisionnisme historique en Croatie en 2025 menacent de rouvrir les cicatrices d'une région encore marquée par les guerres intercommunautaires, mettent en garde plusieurs observateurs.

Du concert géant de Thompson, légende de la musique croate connue pour ses sympathies d'extrême droite, qui a réuni 450.000 personnes à Zagreb en juillet, à l'attaque par des hooligans d'évènements culturels serbes en novembre, les tensions se multiplient ces derniers mois, note Florian Bieber, de l'université autrichienne de Graz.

"On voit à la fois une montée du révisionnisme historique et une hausse des menaces contre ceux qui pensent différemment", explique le chercheur. Un processus qui s'accompagne de nombreuses tentatives de réhabilitation des Oustachis, le régime pronazi au pouvoir pendant la Deuxième Guerre mondiale.

"Ce n'est pas nouveau, mais cela s'est accéléré et amplifié cette année", ajoute M. Bieber.

En juillet, Marko Perkovic, connu sous le nom de scène 'Thompson', a chanté devant des centaines de milliers de personne son tube qui commence par "Za dom - spremni !" - "Pour la patrie - prêts".

Un slogan traditionnel qui avait été repris par les Oustachis (insurgés en croate), à la tête d'un Etat fantoche croate installé par Hitler et Mussolini en 1941. Les Oustachis ont persécuté et tué des centaines de milliers de Serbes, de Juifs, de Croates antifascistes et de Roms.

Ce concert a ouvert une brèche dans laquelle se sont engouffrés les sympathisants d'extrême droite, analyse Florian Bieber.

Même le Premier ministre, Andrej Plenkovic, a assisté aux répétitions, et posté un selfie avec Thompson.

- "Foi, famille, patrie" -

Depuis mai 2024, son parti le HDZ (conservateurs) gouverne au sein d'une coalition avec le Mouvement patriotique, au discours nationaliste, anti-immigration, anti-LGBT, et qui prône l'interdiction de l'avortement dans un pays où l'église catholique est très puissante.

Thompson, dont le pseudonyme évoque un pistolet-mitrailleur, est devenu célèbre pendant les conflits qui ont déchiré la Yougoslavie dans les années 1990.

Présentant ses concerts comme des célébrations de "la foi, la famille et la patrie", il rejette toute sympathie nazie, des accusations "inacceptables" selon lui.

Le chanteur croate nationaliste Marko Perkovic Thompson à Zagreb en un concert, le 5 juillet 2025, en Croatie ( AFP / DAMIR SENCAR )

Mainte fois, il a expliqué que le refrain de "Za dom spremni" n'a rien à voir avec le slogan Oustachi, même si les mots sont les mêmes. Il assure se référer à l'utilisation de ce même slogan par une unité paramilitaire, le HOS, active pendant la guerre d'indépendance de la Croatie contre les forces serbes (1991-95).

Une phrase normalement interdite, a rappelé la Cour constitutionnelle en 2020. Mais répétée jusqu'au sein du Parlement par deux députés après le concert géant de Thompson cet été.

En octobre, plusieurs députés ont organisé au sein du Parlement une table ronde remettant en question le nombre de victimes du camp de concentration croate de Jasenovac, dans lequel 100.000 personnes ont été tuées, selon le musée américain de l'Holocauste.

La communauté juive a fustigé un évènement "scandaleux" et "une disgrâce morale".

- Tensions serbo-croates -

Un discours ultranationaliste qui ravive aussi les tensions entre Serbes et Croates. La proclamation d'indépendance de la Croatie vis-à-vis de l'ex-Yougoslavie a déclenché une guerre (1991-1995) avec les Serbes locaux, soutenus par Belgrade, qui s'y opposaient. Un conflit qui a fait 20.000 morts.

Pour Milorad Pupovac, le représentant de la minorité serbe - 3% des 3,8 millions d'habitants de Croatie, la situation n'a jamais été aussi tendue.

Début novembre, des hommes masqués ont pris d'assaut un événement culturel serbe en scandant des slogans fascistes, poussant à l'annulation de plusieurs événements similaires pour des raisons de sécurité. Des graffitis antiserbes ont aussi été signalés dans plusieurs villes.

"Nous n'avions jamais vu des groupes masqués de jeunes ultras s'en prendre ainsi à la culture, à la liberté d'expression et aux droits des minorités, et potentiellement bientôt aux institutions elles-mêmes", s'inquiète M. Pupovac.

Dans les foules venues assister au concert de Thompson, au milieu des symboles pro-oustachis, de très nombreuses familles viennent avec des enfants et des adolescents, nés bien après la fin de la guerre.

Des fans du chanteur croate nationaliste Marko Perkovic Thompson rassemblés à Zagreb pour un concert du chanteur, le 5 juillet 2025 ( AFP / DAMIR SENCAR )

Des nouvelles générations exposées à des idées ultra-nationalistes parfois même plus extrêmes que celles ayant cours pendant la guerre - "dans un contexte mondial où les idées radicales sont plus courantes, plus socialement acceptables", explique Florian Bieber.

Dimanche, environ 10.000 manifestants antifascistes se sont rassemblés en Croatie pour dénoncer les récentes actions antiserbes et la résurgence de la politique d'extrême droite dans leur pays.

Lundi, la police a annoncé l'arrestation à Rijeka de 9 individus, soupçonnés d'avoir voulu perturber les défilés et lancé des mortiers d'artifices. Plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent des groupes de dizaines de jeunes vêtus de noir, souvent masqués, lancer des pétards et insulter les manifestants.