Droits de douane UE/Etats-Unis et multinationales américaines : péril sur le "miracle irlandais" information fournie par Boursorama avec Media Services 28/07/2025 à 16:38
Après l'annonce d'un accord entre Washington et Bruxelles, la pharmacie sera soumise à des droits de douane de 15% aux Etats-Unis, ce qui pèsera sur une économie irlandaise très dépendante des multinationales américaines du secteur. Attirés par une fiscalité ultra-avantageuse, ces groupes pharmaceutiques tels que Pfizer, Eli Lilly et Johnson & Johnson, mais aussi des géants de la tech comme Apple, Google et Meta, dopent depuis plusieurs décennies les recettes de l'Etat, qui enchaine les excédents budgétaires. Ce pari risque aujourd'hui de se retourner contre Dublin.
Qu'est-ce que le "miracle irlandais" ?
Autrefois l'un des pays les plus pauvres d'Europe occidentale, l'Irlande a été surnommée le "Tigre Celtique" pour sa croissance record à partir des années 1990. Grâce à de faibles taxes sur les entreprises, ce pays de 5,4 millions d'habitants a attiré sur son sol de nombreuses multinationales américaines, séduites aussi par sa participation au marché unique européen, sa stabilité politique ou encore une population très diplômée et anglophone.
Leur présence a aidé l'Irlande à se relever plus vite de la crise financière de 2008. C'est le "miracle économique irlandais", résume Louis Brennan, professeur d'études commerciales au Trinity College de Dublin.
Si l'Irlande a accepté, dans le cadre d'un accord au sein de l'OCDE, de remonter de 12,5% à 15% l'an dernier sa taxe sur les bénéfices des multinationales, cela n'empêche pas le gouvernement d'anticiper pour 2025 un excédent budgétaire de 9,7 milliards d'euros . "Cela a été un succès spectaculaire", et "peut-être même un peu trop" car l'économie irlandaise "dépend aujourd'hui fortement des entreprises américaines", pharmaceutiques, de la tech mais aussi du secteur financier, explique à l'AFP Dan O'Brien, économiste en chef du think tank IIEA basé à Dublin.
Pourquoi la pharma est en première ligne?
Épargnées lors des premières volées de droits de douane imposées par Donald Trump, les entreprises pharmaceutiques sont désormais ciblées par l'administration américaine, qui veut rapatrier la production sur son sol. S'il se réjouit d'avoir échappé à "des tarifs punitifs" - Donald Trump avait dit envisager 200% pour le secteur- le Premier ministre irlandais Micheal Martin déplore des taxes qui "rendront les échanges commerciaux plus coûteux et plus difficiles".
Elles "risquent de dissuader fortement les entreprises américaines d'implanter en Irlande leurs futures usines", abonde Louis Brennan. Pour l'universitaire, il n'est pas exclu que Washington décide en outre d'augmenter encore les taxes après une enquête, en cours au Etats-Unis, pour savoir si les importations pharmaceutiques posent un problème de sécurité nationale.
Pour l'Irlande, l'impact est potentiellement très important: le secteur représentait près de la moitié des exportations du pays l'an dernier, à 100 milliards d'euros -dont environ 40% vers les Etats-Unis. Il emploie directement quelque 50.000 personnes.
Les gros laboratoires, notamment américains, hébergent aussi certains brevets dans le pays pour payer moins d'impôts, ce qui alimente les recettes fiscales. Avec "des droits de douane sur les produits pharmaceutiques, cela touchera l'activité réelle", et pas seulement la manne fiscale du gouvernement, prévient Andrew Kenningham, de Capital Economics. Mais, selon lui, des droits de 15% pourraient être absorbés, car "une grande partie des médicaments fabriqués en Irlande sont des produits de marque dont le pays est parfois le seul producteur, comme Botox, Viagra", des produits qui "font une marge énorme".
La tech est-elle concernée?
Beaucoup de géants de la tech ont fait de l'Irlande leur siège européen et ont transféré dans le pays une partie de leurs droits de propriété intellectuelle, eux aussi attirés par les avantages fiscaux.
Ces entreprises de services ne sont pas directement visées par les droits de douane de Donald Trump, qui concernent avant tout les importations de biens physiques. "C'est un secteur important pour l'investissement et l'emploi en l'Irlande" mais celui-ci "semble hors du champ d'application des tarifs douaniers du point de vue des Etats-Unis", confirme Seamus Coffey, professeur d'économie à l'université UCC de Cork. Cela n'a pas empêché l'administration américaine de qualifier à plusieurs reprises "d'escroquerie" la politique fiscale irlandaise.
Au-delà des droits de douane, la tech pourrait donc être touchée si les Etats-Unis décidaient de modifier leur régime fiscal pour rendre moins attractive l'implantation dans des pays à faible fiscalité, selon Andrew Kenningham, de Capital Economics.