Dix ans après, le trauma des attentats du 13-Novembre reste entier
information fournie par Reuters 10/11/2025 à 10:00

par Elissa Darwish

Sébastien Lascoux était plongé en plein concert du groupe Eagles of Death Metal au Bataclan lorsque trois djihadistes ont ouvert le feu sur la foule, tuant 90 personnes, dont un de ses proches qui s'est interposé entre la balle d'un tireur et une amie.

Dix ans après, les horreurs des attentats du 13 novembre 2015, qui ont fait 130 morts du Stade de France au Bataclan, en passant par les terrasses des cafés parisiens, hantent encore le podcasteur, aujourd'hui âgé de 46 ans, et ont marqué à jamais la psyché de la ville et du pays.

"Il y a une partie de moi qui est morte ce soir-là, qui est restée dans la salle du Bataclan", confie Sébastien Lascoux, qui souffre de stress post-traumatique depuis l'attentat et ne peut plus se rendre dans les endroits très fréquentés ou les lieux clos.

"J'ai dû réapprendre à comprendre tous les sons de mon environnement, les sons de la rue, tous les bruits soudains qui font sursauter, qui font penser que c'est des tirs", explique-t-il, confiant que son rêve serait de pouvoir amener ses filles à un concert.

Ces attentats aveugles d'une ampleur sans précédent ont représenté un choc profond pour les Parisiens et au-delà les Français, car chacun s'est senti concerné et a compris qu'il aurait pu en être victime.

UNE VILLE MEURTRIE

Layla Gharnouti, une commerçante, et sa soeur Myriam, infirmière, rendaient ce soir-là visite à leur mère, dans son appartement situé à environ 200 mètres du Bataclan.

Voyant des gens terrorisés, et pour certains blessés, courir dans la rue, elles leur ont ouvert la porte de l'appartement pour leur permettre de se mettre à l'abri. Des dizaines de personnes sont entrées, dont Sébastien Lascoux.

La famille Gharnouti a transformé son logement en infirmerie de fortune, soignant les blessures avec les moyens du bord. "Ma mère n'avait pas de désinfectants, alors on a utilisé du whisky pour désinfecter les plaies", se rappelle Myriam, aujourd'hui âgée de 46 ans.

"Le lendemain, l'appartement sentait encore le sang", souffle-t-elle.

Pour Layla, le souvenir traumatique de cette soirée a été trop dur à supporter. Elle a préféré quitter Paris pour pouvoir se reconstruire.

"La seule chose que j'entendais après tout ça, c'était les sirènes, je les entendais de loin. C'est un peu comme si j'étais tout le temps sur le qui-vive", dit la femme de 55 ans.

Elle avait aussi du mal à sortir de chez elle. "Dans un espace clos, je vais regarder où sont les sorties de secours... Dans un restaurant, je n'aime pas être dos à la vitrine, je préfère voir ce qui se passe dehors", raconte-t-elle.

Le son régulier des explosions et des cris qui émaillaient les nombreuses manifestations passant à proximité de son appartement parisien ont achevé de la convaincre de déménager.

Sa soeur est restée à Paris et s'y sent en sécurité, mais elle considère que la capitale est "une ville meurtrie".

LA SÉCURITÉ RENFORCÉE FAIT PARTIE DU QUOTIDIEN

Le président François Hollande a qualifié ces attentats d'"acte de guerre". La réponse a notamment consisté en la proclamation de l'état d'urgence sur l'ensemble du territoire, ce qui a permis d'accélérer les enquêtes et d'autoriser les perquisitions sans mandat. Quelque 10.000 militaires ont été déployés dans les zones sensibles.

Ces mesures exceptionnelles se sont progressivement ancrées dans le droit français, en raison de la multiplication des attentats d'inspiration djihadiste, notamment l'attaque au camion-bélier à Nice en 2016 et la décapitation du professeur Samuel Paty en 2020. La présence de militaires lourdement armés dans l'espace public ne surprend plus personne à Paris.

"Les Français et les Françaises ont intégré le fait que la menace est permanente", constate Alexandre Papaemmanuel, expert en sécurité et enseignant à Sciences Po Paris.

Dix ans après le 13-Novembre, la menace terroriste a évolué. De sources proches des services de sécurité, on estime que les groupes djihadistes radicaux comme l'État islamique n'ont plus les moyens de coordonner des attaques de cette ampleur sur le sol français.

En revanche, la propagande en ligne reste efficace et peut pousser des jeunes fascinés par la violence ou voulant donner un sens à leur vie à se radicaliser sur les réseaux sociaux. Rien qu'en 2025, trois attentats d'inspiration djihadiste ont eu lieu en France, et six autres ont été déjoués, selon les chiffres officiels. Les attaques de militants d'extrême droite sont également en hausse.

SOUVENIR DURABLE

De tous les actes de terrorisme qui ont frappé la France, les attentats du 13-Novembre sont ceux qui ont marqué le plus durablement les esprits, souligne Denis Peschanski, historien et directeur de recherche au CNRS, car "toute personne se sentait potentiellement victime, soit parce qu'elle était en âge d'être sur les lieux, soit parce qu'elle était en âge d'avoir des enfants qui auraient pu être sur les lieux".

"Comme tout le monde, on se souvient parfaitement des conditions dans lesquelles on a appris l'événement, où on était, l'heure qu'il était, avec qui on se trouvait, et le lieu où on se trouvait", pointe l'historien, qui mène depuis dix ans une étude basée sur plus de 1.000 témoignages de personnes principalement présentes lors des attentats ou à Paris cette nuit-là.

Les commémorations annuelles de la tragédie et un long procès ont pourtant contribué à ancrer ce souvenir douloureux dans la mémoire collective. Layla et Myriam Gharnouti comme Sébastien Lascoux participeront d'ailleurs cette semaine à la cérémonie organisée à l'occasion du 10e anniversaire des attentats.

Le podcasteur y assistera en mémoire de son ami tué ce soir-là. "Avant, les concerts, j'en faisais énormément. Le théâtre, le cinéma, ce sont des lieux où j'aimais beaucoup aller. Pour l'instant, je ne sais pas, même dix ans après, si j'y retournerai un jour."

(Reportage d'Elissa Darwish, avec la contribution de Juliette Jabkhiro, rédigé par Ingrid Melander ; version française Tangi Salaün, édité par Blandine Hénault)