Dissuasion nucléaire : étendre le parapluie français à l'Europe ? Un bouleversement envisagé par Macron mais qui se heurte à l'autonomie de la France information fournie par Boursorama avec Media Services 27/02/2025 à 14:47
Depuis son origine, la dissuasion française se veut complètement indépendante et repose sur l'appréciation par un seul homme, le président de la République.
Le sujet revient sur la table à l'occasion du revirement stratégique des États-Unis sur sa relation avec l'Europe. Face à la menace russe, le futur chancelier allemand Friedrich Merz a appelé à réfléchir une dissuasion nucléaire européenne, basée sur les capacités françaises et britanniques. Une proposition qui risque de se heurter à l'autonomie de décision revendiquée par la France dans ce domaine.
Devant le spectaculaire rapprochement des États-Unis de Donald Trump avec la Russie, Friedrich Merz juge nécessaire que l'Europe se prépare "au pire scénario" d'une Otan dépourvue de la garantie de sécurité américaine , y compris nucléaire.
Face à cela, il a évoqué dans un entretien à la chaîne ZDF une nécessaire discussion "avec les Britanniques et les Français, les deux puissances nucléaires européennes, sur la question de savoir si nous ne pourrions pas bénéficier du partage nucléaire, au moins de la sécurité nucléaire " que Paris et Londres pourraient apporter.
Cette proposition n'est pas une première de la part d'élus conservateurs allemands. En juillet 2022, l'ancien ministre et président du Bundestag Wolfgang Schäuble, avait proposé que Berlin fournisse "une contribution financière à la puissance nucléaire française en échange d'une dissuasion nucléaire conjointe". Une offre restée lettre morte : depuis son origine, la dissuasion française se veut complètement indépendante et repose sur l'appréciation par un seul homme, le président de la République, d'une menace contre les intérêts vitaux du pays.
"C'est français et ça restera français"
"C'est français et ça restera français", a réaffirmé jeudi le ministre des Armées Sébastien Lecornu sur franceinfo .
Dans un discours sur la doctrine nucléaire française en février 2020, le président Emmanuel Macron avait pourtant mis en avant "la dimension authentiquement européenne" des intérêts vitaux français.
"En fait, il y a une compatibilité entre deux propositions a priori contradictoires", décrypte Emmanuelle Maître, chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). "Parce qu'on est un pays membre d'une communauté régionale très intégrée et d'une alliance militaire, mécaniquement nos intérêts vitaux vont largement coïncider avec les intérêts vitaux de nos voisins", même si la France décide seule, explique-t-elle à l' AFP .
Mais "il n'y aucune assurance, aucune garantie" sur ce que serait l'appréciation de ce risque vital pour un président français confronté au risque d'une riposte contre son pays. Cette ambiguïté est délibérée afin de compliquer les calculs de l'adversaire , mais elle peut être perçue comme un manque de crédibilité pour les alliés de Paris, pointe-t-elle.
Au Royaume-Uni également, seul le Premier ministre a la main sur le feu nucléaire bien que les missiles soient achetés aux Etats-Unis. "La grande différence est que les armes nucléaires britanniques font déjà partie de la garantie de dissuasion élargie de l'Otan ", pointe Marion Messmer, chercheuse au centre de réflexion Chatham House. Les forces nucléaires britanniques, tout comme les forces américaines et contrairement aux françaises, sont intégrées à l'Otan, au profit de la défense des 32 États de l'Alliance.
"Dans un sens, le Royaume-Uni fournit déjà une partie" d'une dissuasion nucléaire européenne , juge-t-elle.
La doctrine française n'offre que des options limitées
Si Paris et Londres devaient fournir un parapluie nucléaire à l'Europe dans un cadre qu'il reste à définir, se poserait la question de sa crédibilité.
Selon l'institut Sipri, la France dispose de 290 têtes nucléaires, le Royaume-Uni de 225, contre 3.708 pour les États-Unis. Et si Paris possède quatre sous-marins et des chasseurs équipés de missiles nucléaires, Londres ne compte que sur ses quatre sous-marins pour porter le feu nucléaire, ce qui limite ses options.
Pour Marion Messmer, "le plus grand défi serait la composante psychologique, car nous savons que la Russie prend les États-Unis très au sérieux, les Etats européens beaucoup moins ". Tout dépendrait donc des signaux marquant leur résolution envoyés par les deux capitales européennes.
Emmanuel Macron a proposé dans son discours de 2020 un "dialogue stratégique avec nos partenaires européens (...) sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective". Mais la doctrine française n'offre que des options limitées.
Des avions européens pourraient participer aux exercices nucléaires français en fournissant par exemple des chasseurs d'escorte ou des avions-ravitailleurs aux avions Rafale censés tirer leur missile, propose dans une note l'institut allemand SWP. Paris pourrait également, selon lui, déployer des avions "capables de porter des armes nucléaires" sur des bases alliées , ce qui "pourrait rendre les calculs stratégiques de Moscou encore plus difficiles".
Mais pour Emmanuelle Maître, "à partir du moment où on n'accepte absolument pas d'ouverture doctrinale, il n'y a pas énormément de choses non plus qui peuvent intéresser les alliés" : "Ils peuvent prendre ce qu'on leur donne, mais ils ne peuvent exiger quoi que ce soit".