Budgets, Matignon, incertitude... Que se passera-t-il en cas de censure du gouvernement Barnier ? information fournie par Boursorama avec Media Services 25/11/2024 à 14:24
Risques sur l'économie, crise politique, gestion des affaires courantes... Une censure du gouvernement engendrerait de nombreuses problématiques pour la France.
La possibilité d'une censure du gouvernement Barnier semble prendre plus de corps, alors que l'examen du budget 2025 se poursuit au Parlement. Une tel scenario ouvrirait une période d'incertitude forte, même si la Constitution dispose d'outils permettant en théorie à l'État de vivoter.
Constitution contre "shutdown"
La question d'un "shutdown", paralysie administrative à l'américaine, revient ces dernières années en l'absence de majorité absolue. Mais pour la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina, cela "n'arrivera sans doute pas", car "on a une Constitution résiliente" . La Constitution prévoit, par exemple, que si le Parlement ne s'est pas "prononcé" dans certains délais sur le budget, le gouvernement peut recourir aux ordonnances . Des dates butoirs respectivement fixées cette année au 5 décembre et au 21 décembre, selon un document de l'Assemblée.
Cette piste inédite s'accompagnerait toutefois de questions juridiques, comme de savoir si le vote de la censure veut dire que le Parlement au sens large s'est "prononcé", ce qui pourrait entraver les ordonnances. "À mon sens, on s'oriente plutôt vers la loi spéciale permettant de prélever des impôts ", estime Anne-Charlène Bezzina. Le gouvernement peut demander à l'Assemblée de voter avant le 11 décembre les seules "recettes" du budget, ou déposer avant le 19 décembre une loi spéciale pour prélever les impôts. Avant d'engager des dépenses strictement nécessaires pour faire tourner l'État. La France a connu des précédents en 1963 et 1980.
Quelle que soit la voie, une question se poserait : est-ce qu'un gouvernement censuré, censé expédier les affaires courantes, peut manœuvrer la machine budgétaire? Une note du secrétariat général du gouvernement va prudemment dans ce sens. "Il y a le juridique et le politique", note toutefois le constitutionnaliste Benjamin Morel. "Un président impopulaire qui doit assumer le passage par ordonnances d'un budget rejeté, avec potentiellement un gouvernement démissionnaire, c'est compliqué."
Matignon: qui et pourquoi ?
En cas de censure les regards se tourneraient instantanément vers Emmanuel Macron. Pour remplacer Michel Barnier, il pourrait choisir... Michel Barnier. A l'instar de Georges Pompidou, reconduit après une censure en 1962. Mais le président de Gaulle avait à sa main la dissolution pour retrouver une composition plus favorable à l'Assemblée. Emmanuel Macron devrait lui attendre l'été prochain.
"Ce n'est pas le problème 'Barnier', c'est quel argument vous donnez au RN ou aux socialistes pour qu'ils puissent ne pas censurer ? ", souligne Benjamin Morel.
Pour l'instant, les mêmes noms circulent pour d'éventuels remplaçants. Comme Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France, issu de LR comme Michel Barnier. "Mais en bonne logique parlementaire vous avez tout intérêt à changer la position politique", considère Anne-Charlène Bezzina.
Le nom de l'ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve, contesté au sein de la gauche, revient aussi. "Ça impliquerait que LR ne censure pas et que les socialistes prennent le risque" d'une confrontation avec LFI quelques mois avant une possible dissolution, pointe Benjamin Morel, imaginant davantage un "gouvernement technique dépolitisant".
La candidate du NFP Lucie Castets est toujours citée, mais ne fait pas l'unanimité en interne, notamment au PS.
"Aujourd'hui, c'est le 'pour quoi faire' qui doit être déterminant" , résume un cadre écologiste.
L'œil des marchés
Paris, déjà sous la pression des agences de notation financière, aurait fort à faire pour rassurer les investisseurs et de ne pas voir s'envoler ses taux d'emprunt.
Le marché français a fortement reculé entre la dissolution et les législatives , mais ses pertes ne se sont pas creusées davantage depuis, par rapport aux autres places financières européennes. "Par contre, la France n'a pas rattrapé le retard accumulé en juin", analyse Guillaume Laconi, gérant actions européennes chez Edmond de Rothschild AM.
"Si le gouvernement Barnier tombe, il n'y aura pas de dissolution avant juin et les marchés repartiront sur une période d'incertitudes. Le côté positif serait de se dire qu'avec six mois de blocage, il ne se passera rien d'un point de vue marchés, ni de bon ni de mauvais. Mais étant donné les difficultés des finances publiques en France, il est difficile de voir le verre à moitié plein", juge-t-il.
Est-ce que le blocage politique peut se transformer en crise institutionnelle ? "Le problème, c'est qu'on n'a pas évolué d'un pouce sur la question de la majorité. On n'a toujours pas créé la surprise parlementaire" , note Anne-Charlène Bezzina.
Benjamin Morel s'interroge lui sur un potentiel blocage durable, alors que LFI et le RN estiment tous deux qu'Emmanuel Macron pourrait être amené à démissionner. "Historiquement, relève-t-il, il y a deux méthodes : rejeter tous les budgets, ou faire tomber tous les gouvernements ."