Budget: le Sénat, passé d'incontournable à coupable idéal information fournie par AFP 19/12/2025 à 17:09
Pilier incontournable de la coalition gouvernementale sous Michel Barnier et François Bayrou, le Sénat doit constater sa mise à l'écart des débats budgétaires, victime du choix de Sébastien Lecornu de se tourner vers la gauche. Au point d'être pris pour responsable de l'échec du budget.
"Je regrette l'absence de volonté d'aboutir de certains parlementaires, comme nous pouvions le craindre malheureusement depuis quelques jours". En actant l'impossibilité d'arriver à un compromis avant le 31 décembre, le Premier ministre a ciblé, sans les nommer, les sénateurs et leur solide majorité acquise à la droite et ses alliés centristes.
La commission mixte paritaire (CMP), réunion cruciale de députés et sénateurs chargés de trouver un accord sur le projet de loi de finances pour 2026, s'est soldée vendredi par un échec cuisant, en quelques minutes à peine.
A qui la faute ? Dans les rangs gouvernementaux, la droite sénatoriale fait office de coupable idéal. En cause, la "radicalité" d'une "petite partie du groupe LR du Sénat pour des raisons très politiciennes", qui aurait mis "en danger la réussite" des négociations, avançait Matignon dès jeudi.
"La droite sénatoriale a, depuis le départ, écarté toute possibilité de compromis", a renchéri vendredi Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste.
- Non aux concessions -
Avec une ligne ferme "anti-taxes", la chambre haute a en effet déroulé une partition intransigeante lors de l'examen du budget cet automne, refusant l'essentiel des compromis trouvés par le gouvernement à l'Assemblée nationale.
Point le plus crispant: l'ultrasensible suspension de la réforme des retraites, accueillie comme un renoncement par le Sénat et son président Gérard Larcher.
Cette concession majeure de Sébastien Lecornu au PS a considérablement raidi la Haute assemblée, qui n'a jamais voulu l'accepter. "On a dû avaler des couleuvres", s'exaspère un sénateur LR.
Jusqu'au bout, les sénateurs ont espéré un revirement de Sébastien Lecornu, le priant de réactiver l'article 49.3 sur une copie budgétaire penchant vers la droite.
Mais la stratégie du Premier ministre était incompatible avec les velléités du Sénat: conscient que c'est bien l'Assemblée nationale qui dispose d'un pouvoir de censure, Sébastien Lecornu a essentiellement négocié avec les députés.
Quitte à délaisser le Sénat ? "Le gouvernement a créé les conditions pour qu'un accord sur le budget soit impossible", s'est énervé le patron des Républicains Bruno Retailleau, repris en choeur par ses alliés Mathieu Darnaud et Hervé Marseille, chefs des groupes LR et centriste du Sénat, qui ont taclé dans un communiqué commun "l'attitude regrettable" de l'exécutif.
Beaucoup attribuent à l'ex-ministre la responsabilité de la fermeté de la droite sénatoriale, exacerbée depuis sa sortie tumultueuse du premier gouvernement de Sébastien Lecornu en octobre.
"Bruno Retailleau n'est jamais intervenu pour nuire au compromis", balaye le rapporteur général du Budget au Sénat, Jean-François Husson (LR). Lui assure que la chambre haute s'est montrée constructive jusqu'au bout: "259 des 263 articles du budget faisaient l'objet d'un accord", martèle-t-il.
- "Négocier dans le noir" -
"Nous avons dû négocier dans le noir", se désespère le négociateur en chef de la droite. "Je n'ai pas eu un seul appel, un seul SMS de Matignon depuis mercredi soir", ajoute-t-il, persuadé que "le gouvernement n'a pas souhaité que notre CMP soit conclusive".
"Rejeter la faute sur le Sénat est totalement invraisemblable", s'indigne aussi le sénateur Horizons Emmanuel Capus. "Nous sommes les seuls à avoir voté un budget. Il ne faut pas inverser les rôles."
Le camouflet n'en est pas moins majeur pour la chambre haute, qui faisait office de pilier de la coalition gouvernementale il y a seulement quelques mois. Sous Michel Barnier d'abord, mais également sous François Bayrou, où de nombreux textes de loi d'origine sénatoriale avaient pu prospérer, comme la "loi narcotrafic" ou la "loi Duplomb" sur les entraves au métier d'agriculteur.
En janvier dernier, la CMP sur le budget 2025 avait même pu aboutir à une copie assez proche de celle du Sénat, moyennant l'usage d'un 49.3 pour la faire adopter.
Douze mois plus tard, la donne a bien changé: les centaines d'heures d'examen du budget au Sénat tout au long de l'automne n'auront finalement servi à rien.