A son procès pour complicité de tentative d'extorsion l'ex-patron de la DGSE se dédouane de tout coup de pression information fournie par AFP 06/11/2025 à 18:58
Jugé pour complicité de tentative d'extorsion à l'encontre d'un homme d'affaires en litige depuis des années avec la DGSE, l'ex-directeur général des services secrets français a nié jeudi à son procès avoir donné des instructions visant à exercer "une forme quelconque de contrainte".
"Les choses ne se sont pas passées comme elles auraient dû", a reconnu Bernard Bajolet, aujourd'hui âgé de 76 ans, à la barre du tribunal correctionnel de Bobigny.
Patron de la Direction générale de la sécurité extérieure entre avril 2013 et mai 2017, Bernard Bajolet comparaît également pour atteinte arbitraire à la liberté individuelle par personne dépositaire de l'autorité publique.
"Pour moi, il n'y avait pas de contrainte", a-t-il affirmé en évoquant le moment où l'un de ses subordonnés lui a suggéré de valider une opération visant à s'entretenir avec Alain Dumenil, homme d'affaires franco-suisse impliqué dans pléthore d'affaires judiciaires et de litiges commerciaux, alors que celui-ci doit prendre un avion à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle.
- "Pas une méthode appropriée" -
Le 12 mars 2016, M. Dumenil est ainsi arrêté par la police aux frontières à l'aéroport alors qu'il doit se rendre en Suisse.
Les policiers l'emmènent sous prétexte de devoir vérifier son passeport et le conduisent dans une salle.
Deux hommes en civil appartenant à la DGSE entrent alors et informent M. Dumenil qu'il doit rembourser 15 millions d'euros à la France.
A la barre, assis dans un fauteuil du fait de sa mauvaise santé, Alain Dumenil, costume bleu et cheveux argentés, a raconté cet entretien.
Selon lui, les deux agents lui ont montré des albums photos où figuraient des proches, en le menaçant: "Ils m'ont dit: on va commencer avec vos filles comme ça vous saurez ce qu'on sait faire."
"Ce n'est pas du tout ce que j'ai autorisé, ce n'est pas du tout comme ça que je voyais les choses", avait assuré plus tôt M. Bajolet, estimant que la méthode utilisée n'était pas "appropriée".
"Peut-être ai-je traité un peu rapidement" la validation de l'opération, mais "j'avais d'autres préoccupations" à cette époque, marquée par plusieurs attentats ou tentatives d'attentats en Europe, et particulièrement en France, s'est-il défendu.
Après cet entretien tendu, "j'étais écoeuré", a affirmé M. Dumenil, lui aussi âgé de 76 ans.
Devant le tribunal, dans une déclaration embrouillée au débit très rapide, l'homme d'affaires a également accusé la DGSE de tentatives d'assassinat contre sa personne et de pression sur la justice.
- Une "assurance" mal gérée -
Cette affaire est "emblématique de la privatisation des moyens régaliens par un ex-grand serviteur de l'Etat pour obtenir un paiement indu et régler des comptes", avait estimé auprès de l'AFP avant l'audience l'avocat de M. Dumenil, Me William Bourdon.
Jeudi, les débats sont revenus sur le litige financier à l'origine de cette opération.
Les services secrets estiment que l'homme d'affaires les a arnaqués et leur doit 15 millions d'euros, dont trois d'intérêts, suite à des manoeuvres financières qui lui ont valu d'être mis en examen pour banqueroute.
Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, les services de renseignements extérieurs gèrent un patrimoine privé confié par l'État dans une volonté d'indépendance de l'institution en cas d'occupation étrangère ou de disparition du gouvernement.
C'est une "assurance", en cas d'"effondrement de l'Etat ou de crise durable", a expliqué M. Bajolet, qui juge toutefois que ces fonds ont été "mal placés par la DGSE".
À la fin des années 1990, les services secrets réalisent ainsi des investissements infructueux dans une société. Alain Dumenil est appelé à la rescousse mais, selon un article de Challenges datant de 2021, réalise alors, via une holding, un "tour de passe-passe" au détriment, notamment, de la DGSE.
Il aurait ainsi transféré les parts de la holding détenues par la DGSE dans trois autres sociétés qu'il détenait également.
Le procès doit durer jusqu'à vendredi soir.