(Crédits photo : Unsplash - Marliese Streefland )
Selon que l'on habite en ville ou à la campagne, la justice adopte une démarche un peu différente pour savoir si ces désagréments sont légaux. Découvrez cette semaine, la jurisprudence «urbaine».
Les affaires du coq Marcel ou du coq Maurice ont défrayé la chronique ces dernières années et révélée que la coexistence entre animaux et humains pouvait s'avérer délicate dans certaines situations. Pour y voir plus clair dans ce qui doit être accepté et ce qui peut être sanctionné par la justice, Me Jean-Philippe Mariani, avocat, et Bruno Lehnisch, cadre juridique qui tiennent un blog consacré au droit de la copropriété et du voisinage ont préparé pour le Figaro Immobilier une analyse sur ces affaires de troubles anormaux de voisinage. Et puisque l'approche est sensiblement différente selon que l'affaire se déroule en ville ou à la campagne, cet état des lieux est publié en deux volets: urbain cette semaine et rural, le week-end prochain.
Dans tous les cas de figure, pour qu'il y ait trouble anormal de voisinage, il faut se trouver face à une situation excédant les inconvénients normaux du voisinage. Les nuisances en question peuvent être sonores, olfactives, visuelles ou autres et survenir de nuit comme de jour. Par ailleurs, ce trouble doit pouvoir s'apprécier objectivement et non selon la sensibilité de la «victime» et, enfin, un trouble peut exister même s'il résulte d'une activité autorisée. En ville, la justice a surtout eu à traiter des affaires concernant des aboiements de chiens, relèvent MM. Lehnisch et Mariani.
Des aboiements «intempestifs»
En 2009, la cour d'appel de Paris (CA Paris, 8 oct. 2009, n° 07/14884) a ainsi estimé que les troubles allégués de voisinage étaient justifiés en s'appuyant notamment sur une pétition signée par différents voisins, concernant des attestations nombreuses d'invités du plaignant «qui notent le caractère intempestif et important des aboiements jusqu'à une heure avancée de la nuit» et enfin par un constat d'huissier «qui établit la réalité des aboiements entre 19 heures 36 et 20 heures 26» .
La cour d'appel justifie sa décision en soulignant que ces bruits, qui excèdent les inconvénients normaux du voisinage sont du fait du maître du chien qui ne prend pas des mesures nécessaires pour empêcher la réalisation du trouble puisqu'il suffirait de faire entrer le chien dans la maison la nuit. Par ailleurs, ces bruits causent un préjudice aux voisins « qui ne peuvent par exemple se tenir dans leur jardin ou sur leur terrasse sans être gênés par des aboiements », rappellent MM. Mariani et Lehnisch. Le propriétaire est condamné à prendre des mesures pour empêcher ses chiens d'aboyer la nuit et limiter leurs aboiements de jour, sous astreinte de 100 € par jour de retard.
De son côté, la cour d'appel de Rennes (CA Rennes, 1re ch., 9 mars 2021, n° 19/01993) a admis le caractère anormal du trouble de voisinage en raison de «nuisances sonores anciennes, persistantes, régulières et d'intensité importante résultant des aboiements des chiennes» . Au vu de l'ancienneté du litige, la cour attribue à la victime 5000 euros de dommages et intérêts. «Ce trouble anormal du voisinage dure depuis 2009, soulignent les juges. Les époux X ne démontrent pas en quoi il leur était impossible de déplacer l'enclos plus loin sur leur parcelle de 9000 m² afin de résoudre amiablement le litige.»
Un phénomène naturel
Dans d'autres cas de figure, la justice donne tort aux plaignants comme dans cet arrêt, rendu par la cour d'appel de Metz le 28 janvier 2021 (n° 19/01405). Un propriétaire mosellan, excédé par l'aboiement d'un chien, avait engagé une action indemnitaire mais les juges le déboutent au motif que «Les aboiements de l'animal, dont la fréquence et l'intensité alléguées ne sont pas établies par les attestations des appelants émanant de personnes de passage, restent un phénomène naturel» . D'ailleurs, la sœur du plaignant, voisine directe, avait attesté ne subir aucun désagrément du fait du canidé.
Un résident habitant dans le département des Landes, a lui aussi été éconduit par la cour d'appel de Bordeaux alors qu'il soutenait subir des aboiements de chiens «toute la journée» . «Aucune preuve n'est rapportée de l'existence du trouble ainsi allégué, l'huissier de justice ayant entendu aboyer un seul chien et l'expert n'ayant constaté aucune nuisance sonore imputable à des animaux» , expliquent les juges (CA Bordeaux, 2e ch. civ., 21 janv. 2021, n° 17/03942). «L'anormalité du trouble sonore se démontre selon trois critères, en déduisent Jean-Philippe Mariani et Bruno Lehnisch: la répétition du bruit, son intensité du bruit ou sa durée. Il suffit de constater l'un des trois critères pour caractériser un trouble anormal de voisinage. Il s'agit donc de critères alternatifs et non cumulatifs.»
Par ailleurs, ils relèvent que les juges prennent en compte la situation à la date d'installation des plaignants. Le trouble de voisinage sera ainsi plus difficile à établir s'il était déjà présent au moment où ceux-ci ont élu domicile. Enfin, pour convaincre les juges de l'anormalité du trouble, il est important de s'appuyer sur les constats d'autres voisins, d'huissiers de justice, voire de la police municipale. « Quand le demandeur semble être le seul à se plaindre ou, a fortiori, lorsque d'autres voisins attestent que les animaux ne dérangent pas l'entourage, le plaignant peinera à convaincre les juges du bien-fondé de sa demande », soulignent les deux spécialistes.
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