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Les données 2025 sont sans appel : les écarts financiers entre femmes et hommes perdurent. Voici ce qui continue d’entraver la progression.
En 2025, le paysage financier s’est modernisé, les outils se sont démocratisés, et l’accès à l’information n’a jamais été aussi simple. Pourtant, les chiffres tracent une ligne de fracture persistante entre les hommes et les femmes. Cette fracture se lit dans les portefeuilles, dans les parcours professionnels, dans la répartition des dépenses au sein des couples, et jusque dans la manière dont les petites filles apprennent, ou non, à manipuler l’argent. Pour comprendre ce qui résiste, il faut regarder de près ce que disent les baromètres récents, mais aussi les conséquences concrètes de ces écarts sur le patrimoine et la sécurité financière des femmes.
L’éducation financière, un biais qui commence dans l’enfance
L’un des enseignements les plus nets des rapports 2023 à 2025 est que les femmes épargnent autant que les hommes, mais investissent beaucoup moins, résume l’Autorité des marchés financiers dans son Baromètre de l’épargne et de l’investissement. C’est un paradoxe que confirment toutes les enquêtes : près de 8 femmes sur 10 mettent de l’argent de côté, pourtant seules 22 % possèdent un produit d’investissement, contre 36 % des hommes. En 2024, l’intérêt pour les placements en actions a progressé pour les deux sexes, mais l’écart s’est encore creusé, passant de 17 à 21 points. Même tendance lorsqu’on regarde la Bourse : 10 % des femmes déclarent investir, contre 27 % des hommes, indique le sondage SPAK – OpinionWay, publié en mars 2025. Ces chiffres illustrent une asymétrie persistante, qui pèse directement sur la constitution du patrimoine.
Pourquoi cet écart, alors que les femmes ont les mêmes capacités d’épargne ? Les études pointent une aversion au risque plus marquée, un manque de confiance financière et une socialisation très genrée de la question monétaire. Dès l’enfance, les garçons sont davantage exposés à l’idée d’investissement, tandis que les filles se voient attribuer moins d’argent de poche et moins d’occasions de « tester » l’argent. La tribune des économistes Alexandra Niessen-Ruenzi et Stefan Ruenzi le rappelle dans les colonnes du Monde : au Royaume-Uni, une étude sur un million d’enfants montre que les filles reçoivent moins d’argent dès l’âge de 6 ans. Les parents discutent aussi davantage de finances avec leurs fils. « Lorsque les filles grandissent sans modèles financiers ou qu’elles sont exclues des conversations sur l’argent, elles ont simplement moins de chances d’investir plus tard ». Ces premières inégalités créent un effet domino durable, renforcé par des représentations où les femmes sont montrées comme « passives ou inexpérimentées », selon l’analyse menée sur sept décennies de publicités dans The Economist .
L’empreinte des stéréotypes dans la vie financière des femmes
Ce conditionnement se retrouve à l’âge adulte, dans la vie personnelle comme professionnelle. Dans le couple, les dépenses restent très genrées. Les tâches du quotidien sont assumées entièrement par 18 % des femmes, contre 9 % des hommes. À l’inverse, 25 % des hommes gèrent seuls les placements financiers, contre seulement 7 % des femmes. Ce baromètre ViveS « Les femmes et l’argent » montre aussi que 25 % des personnes en couple n’ont pas de compte bancaire individuel, un risque de dépendance financière pointé comme « potentiellement porteur de violence économique ». L’écart se creuse aussi au travail : 50 % des hommes demandent une augmentation, contre 33 % des femmes, et seules 32 % d’entre elles se sentent à l’aise pour négocier leur salaire, contre 53 % des hommes. Cette moindre confiance irrigue toute la chaîne : promotions, revenus, épargne disponible et capacité à investir.
Ces écarts se poursuivent dans le secteur financier lui-même, encore marqué par des stéréotypes très ancrés. Dans la banque, les femmes sont majoritaires dans les effectifs, mais beaucoup moins présentes dans les postes de direction. Dans la gestion d’actifs, seuls 10 % des fonds d’actions américains sont dirigés par des femmes, et les investisseurs déplacent leur argent dès qu’une femme prend les commandes, rapporte The Economist . « Même dans un fonds où les performances étaient identiques, les participants préféraient investir dans un fonds dirigé par un homme », souligne la même analyse. Dans un secteur où la taille des fonds détermine carrière et visibilité, ces biais sont lourds de conséquences. Et ils contribuent à l’idée persistante que la finance « n’est pas faite » pour les femmes.
Vers une nouvelle pédagogie financière
Pourtant, les solutions existent, et certaines commencent à porter leurs fruits. Des plateformes comme Evvest misent sur une approche long terme adaptée aux profils qui veulent apprivoiser progressivement le risque. « La finance a raté son virage auprès des femmes », estime sa fondatrice, qui plaide pour une industrie plus inclusive. Des initiatives comme celles d’Oseille & Compagnie, qui proposent un modèle de facturation au rendez-vous plutôt qu’à l’encours, permettent aussi de rendre la gestion financière plus accessible. D’autres programmes s’attaquent directement aux freins internes : mentoring, formation aux biais, transparence salariale ou encore réseaux de femmes en finance. Ces dispositifs reçoivent un bon écho, tant qu’ils ne se contentent pas d’objectifs symboliques, mais s’inscrivent dans un changement culturel profond.
Rendre la finance plus égalitaire passe aussi par un travail en amont, dès l’école et au sein des familles. Les économistes le rappellent : l’éducation financière doit commencer tôt, et de manière égalitaire. C’est là que se joue une partie de la confiance future et de la capacité à prendre des décisions d’investissement éclairées. Pour les femmes déjà actives, les experts le répètent : prendre le temps de sécuriser son épargne de précaution, investir progressivement, comprendre ses propres objectifs et s’autoriser à tester sont autant de leviers concrets pour combler une partie du fossé. Hélène Gherbi, autrice de l’ouvrage d’éducation financière adressé aux femmes Développer vos superpouvoirs financiers , le formule clairement : « Le risque ça s’apprend, c’est une multitude de petites actions qui permettent de s’en sentir capable ». Et investir, pour beaucoup de femmes, est devenu un « enjeu féministe ».
Si la finance prétend évoluer, il reste un angle mort : sa culture encore trop masculine, héritée de décennies de normes, d’images et de pratiques. Les deux économistes le disent sans détour : « Si nous voulons un monde financier plus équitable, nous devons remettre en question cette idée – encore discrètement prégnante – selon laquelle la finance va mieux quand elle est laissée aux hommes. Parce que ce n’est pas le cas ». En 2025, les chiffres ne montrent pas seulement des écarts. Ils révèlent encore les zones où agir, pour que gérer son argent, investir et construire son avenir ne soient plus des terrains inégalement distribués entre les sexes.
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