par Nate Raymond
Qu'il s'agisse de la vice-présidente démocrate Kamala Harris ou de l'ancien président républicain Donald Trump, le vainqueur de l'élection présidentielle américaine du 5 novembre fera face à la même réalité: des opportunités moindres de redessiner le pouvoir judiciaire à l'échelle fédérale.
Au moment de la passation de pouvoir entre Joe Biden et son successeur à la Maison blanche, le 20 janvier prochain, près de la moitié des 890 postes - à vie - de juge fédéral à travers le pays auront été attribués, en à peine huit ans, par le président démocrate et son prédécesseur républicain Donald Trump.
Lors de son mandat, Donald Trump a nommé trois juges à la Cour suprême, contre une seule nomination effectuée par Joe Biden. La plus haute juridiction des Etats-Unis a ainsi nettement basculé du côté conservateur, avec une majorité de 6-3, mise en exergue en juin 2022 avec la révocation d'un arrêt garantissant la protection du droit à l'avortement.
Joe Biden et Donald Trump ont tous deux privilégié dans l'ensemble un rajeunissement de la magistrature fédérale, opérant un virage générationnel.
L'une des conséquences: le "flux" de juges éligibles au statut dit "senior" a ralenti, et avec lui le nombre de postes vacants. Ce statut est une forme de semi-retraite que les juges âgés de plus de 65 ans peuvent prendre après quinze années en poste, permettant au président de nommer un nouveau juge.
D'après des données de la magistrature ce mois-ci, 67 postes fédéraux sont vacants ou vont le devenir, en se basant sur le nombre de juges ayant exprimé leur intention d'obtenir le statut senior. Toutefois Joe Biden a déjà transmis au Sénat les noms de 28 candidats appelés à occuper ces postes.
Par ailleurs, 247 autres juges - 131 nommés par des présidents démocrates et 116 par des présidents républicains - seront éligibles au statut senior au cours des quatre prochaines années, ce qui pourrait ouvrir de nouveaux postes, selon un rapport d'American Constitution Society (ACS), un groupe juridique progressiste.
Il n'est cependant pas inhabituel que des juges ne partent pas à la retraite quand ils en ont le droit. Des recherches montrent ainsi qu'il est de plus en plus fréquent qu'un juge en âge de la retraite attende que le locataire de la Maison blanche soit à ce moment-là du même parti que celui qui l'a nommé.
PAS DE BOULEVERSEMENT DE L'ÉQUILIBRE IDÉOLOGIQUE DE LA COUR SUPRÊME
Si cette tendance se confirme, le vainqueur du scrutin du 5 novembre pourrait avoir choisi d'ici la fin de son mandat un nombre de juges très inférieur à ceux nommés par Donald Trump (234, le deuxième total le plus élevé pour un mandat de quatre ans) et Joe Biden (213 pour l'heure, troisième total).
Le record de nominations de juges fédéraux en un seul mandat de quatre ans appartient au démocrate Jimmy Carter (262, entre janvier 1977 et janvier 1981).
Pour celui qui s'installera en janvier prochain dans le Bureau ovale, l'opportunité de modifier l'équilibre idéologique de l'échelon le plus élevé du système judiciaire paraît également limitée.
Trois juges de la Cour suprême américaine sont septuagénaires et considérés comme les plus à même de prendre leur retraite, en fonction du résultat de l'élection présidentielle: les conservateurs Clarence Thomas (76 ans) et Samuel Alito (74 ans), et la libérale Sonia Sotomayor (70 ans).
La marge de manoeuvre du prochain locataire de la Maison blanche s'agissant de la nomination des juges pourrait être entravée davantage ou favorisée par la composition du Sénat, dont 33 des 100 sièges sont également en jeu le 5 novembre. La chambre haute du Congrès a pour mission de confirmer la nomination des juges désignés par le président américain. Les démocrates pourraient perdre leur majorité étroite (51-49).
Reste que le poids des juges fédéraux à l'échelle nationale n'est pas seulement une question de quantité. Certains juges peuvent devenir plus influents que d'autres, en raison du tribunal qu'ils président ou de leur philosophie.
Donald Trump puis Joe Biden l'ont tous les deux appris à leurs dépens: ces juges peuvent prendre des décisions à même d'entraver des politiques voulues par la Maison blanche.
"AUDACIEUX ET SANS PEUR"
Selon Jake Faleschini, directeur du programme judiciaire du groupe progressiste Alliance For Justice Action Campaign (AFJAC), un deuxième mandat de Donald Trump offrirait à ce dernier, même avec moins de postes vacants, la possibilité de garnir les cours d'appel de magistrats que Faleschini qualifie d'"hyper-extrémistes", en accordant des promotions à des juges qu'il a nommés lors de son premier mandat.
Jake Faleschini a mentionné la juge de district Aileen Cannon, en Floride, qui a rejeté une plainte contre Donald Trump dans l'affaire des documents classifiés emportés à la fin de son mandat en 2021, et le juge de district Matthew Kacsmaryk, au Texas, qui a suspendu l'approbation de la pilule abortive Mifepristone - une décision infirmée en juin dernier par la Cour suprême américaine.
Mike Davis, allié de Donald Trump et fondateur du groupe conservateur Article III Project, focalisé sur une réforme de la justice, a décrit Aileen Cannon comme un exemple du style de juges "audacieux et sans peur" qu'il souhaite que Trump nomme en cas de deuxième mandat présidentiel.
Un haut conseiller de la campagne Trump a déclaré dans un communiqué que le candidat républicain a nommé durant son mandat des "juges constitutionnalistes qui interprètent la loi telle qu'elle est écrite". "Il fera de même quand les électeurs le porteront de nouveau à la Maison blanche", a ajouté Brian Hughes.
Aucun commentaire n'a été obtenu auprès de la campagne Harris.
Jake Faleschini a dit espérer que Kamala Harris imite Joe Biden en "débutant son mandat avec la même attention portée à la démographie et à la diversité professionnelle" parmi les juges. Le président démocrate a nommé pour la plupart des femmes et des personnes issues de la diversité.
Mike Davis a déclaré qu'une administration Harris "transformerait les tribunaux de première instance en activistes judiciaires", avec la volonté de créer un système "gauchiste". "Le prochain président va boucler, d'une manière ou d'une autre, la transformation de la justice", a-t-il ajouté.
(Nate Raymond; version française Jean Terzian, édité par Kate Entringer)
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