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Les lagunes, "sentinelles" du réchauffement climatique en Méditerranée
information fournie par AFP 21/09/2025 à 09:56

Le pêcheur Sébastien Gaubert sur l'étang de l'Ayrolle, à Gruissan, le 25 juin 2025 ( AFP / IDRISS BIGOU-GILLES )

Le pêcheur Sébastien Gaubert sur l'étang de l'Ayrolle, à Gruissan, le 25 juin 2025 ( AFP / IDRISS BIGOU-GILLES )

Un café, une gaufre, et Sébastien Gaubert saute sur sa barque à 5h45 pour fendre la surface parfaitement lisse à l'aube de l'étang de l'Ayrolle à Gruissan (Aude), dont le fragile équilibre est menacé par une sécheresse persistante, et y relever les 50 hameçons calés la veille.

Dans l'air poisseux d'humidité et de sel, le pêcheur de 47 ans, dont quinze à pêcher sur cette lagune près de Narbonne, ne ramènera que trois loups, surnom local du bar. Un "minimum syndical" qui permettra de "sauver la journée".

La pêche de l'anguille, activité traditionnelle de l'étang et interdite six mois sur douze, n'a rouvert qu'au 1er septembre. "Avant, on faisait trois à quatre tonnes d'anguilles par an, aujourd'hui, une tonne si on est chanceux", raconte le pêcheur au crâne rasé, chaîne en argent autour du cou.

Ce poisson longiligne, qui fournit une part "considérable" du revenu des pêcheurs de l'étang de l'Ayrolle - près de 40% - selon le maire de Gruissan, Didier Codorniou, a été classé en danger critique d'extinction en 2008 par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

- "Très peu de pluie" -

Son déclin a accompagné la métamorphose des lagunes, et Sébastien Gaubert veut y voir un lien: "Le problème, c'est la pollution et l'eau qui est trop salée. L'anguille a besoin d'eau saumâtre", c'est-à-dire moins salée que la mer, dit-il.

Des cabanes de pêcheurs au bord de l'étang de l'Ayrolle, à Gruissan, le 25 juin 2025 ( AFP / IDRISS BIGOU-GILLES )

Des cabanes de pêcheurs au bord de l'étang de l'Ayrolle, à Gruissan, le 25 juin 2025 ( AFP / IDRISS BIGOU-GILLES )

L'anguille passe la majeure partie de sa vie en eau douce ou saumâtre, et se reproduit en mer. Les lagunes, sortes de bassines à l'interface entre rivières et Méditerranée, leur fournissent ainsi un milieu adéquat - mais pour combien de temps?

"Avec cette configuration de bassine ou de casserole", la composition des lagunes "bouge beaucoup plus vite qu'en mer", explique Valérie Derolez, chercheuse en écologie côtière à l'Ifremer.

La concentration en sel des étangs varie au gré des pluies et des fortes chaleurs, qui apportent de l'eau douce ou la font s'évaporer. Or le littoral méditerranéen subit de plein fouet le réchauffement climatique. "On observe très peu de pluie depuis 2015", décrit Mme Derolez. Conséquence, "sur 20 ans, on observe une salinisation assez marquée de nos lagunes."

Généralement moins salées que la Méditerranée (38 grammes de sel par litre), les lagunes pourraient renverser rapidement la tendance.

Entre 2001 et 2022, la salinité médiane "sur l'ensemble des lagunes est passée de 33 à 37 g/L l'été", détaille la chercheuse. L'Ayrolle, encore plus touché, est passé de 28 à 36, et pourrait atteindre 44 g/L en 2025. "C'est énorme", juge-t-elle.

- Risque d'asphyxie -

L'écosystème des lagunes présente par ailleurs un fragile équilibre: l'eau douce, lorsqu'elle leur parvient par ruissellement, charrie des substances nutritives.

Un loup pêché par Sébastien Gaubert dans l'étang de l'Ayrolle, à Gruissan, le 25 juin 2025 ( AFP / IDRISS BIGOU-GILLES )

Un loup pêché par Sébastien Gaubert dans l'étang de l'Ayrolle, à Gruissan, le 25 juin 2025 ( AFP / IDRISS BIGOU-GILLES )

"En moyenne, les étangs sont six fois plus riches que la mer en azote et phosphore, ce qui conduit à une prolifération d'algues, de zooplancton, de coquillages... Donc quand les poissons entrent, ils grossissent rapidement", explique Laurent Benau, responsable qualité de l'eau au parc naturel régional de la Narbonnaise en Méditerranée, qui comprend l'étang de l'Ayrolle.

Mais si l'eau est trop riche, "le système se dégrade", alerte M. Benau. Les algues risquent d'envahir l'étang et l'oxygène de se raréfier, parfois au point de faire s'étouffer les étangs, où faune et flore finissent par agoniser. On parle alors de malaïgue, de l'occitan "mala aiga" (mauvaise eau).

Les relevés de l'Ifremer montrent que le phénomène est en marche: le taux d'oxygène baisse depuis 20 ans. Sous 5 microgrammes par litre, "ça peut faire un gros stress physiologique pour le vivant", prévient Valérie Derolez. L'étang de l'Ayrolle est déjà passé de 8 à 6 µg/L entre 2000 et 2022.

Des mutations qui laissent entrevoir la façon dont le réchauffement va transformer la Méditerranée. "Les lagunes, pour nous, ce sont un peu des sentinelles du changement climatique", assure la chercheuse en écologie côtière. "Ça amplifie le signal par rapport à ce qu'on pourrait avoir en mer, vu que les effets sont décuplés."

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