L’alchimie n’a pas pris entre l’homme d’affaires aux idées très conservatrices et la ville basque bien plus modérée, jusqu’à menacer sa propre sécurité. Le bien, totalement rénové, est mis en vente à 15,9 millions d’euros, près de trois fois le prix d’achat.
C’est incontestablement un bien d’exception . Imaginez une maison des années 1920 dans le plus pur style néobasque, comptant 12 chambres et un appartement d’amis sur une superficie de 700 m², située sur le front de mer de la très courue ville de Saint-Jean-de-Luz. Ajoutez à cela des murs et des pièces chargés d’histoire. La villa Ugaïna, c’est son nom, fut occupée par les nazis avant d’être récupérée, à la Libération, par l’État pour y installer la résidence du commandant de la base navale de l’Adour et vice-roi de l’île aux faisans. Située en centre-ville, sur un site patrimonial remarquable (SPR) et donc dans une zone ultra-protégée, elle offre une vue sur le port et sur la baie de Saint-Jean-de-Luz. Sa jolie passerelle privative permet d’accéder directement à la plage.
Ce «petit» bijou appartient depuis janvier 2022 à Pierre-Édouard Stérin, l’homme d’affaires français qui a fait fortune avec les coffrets cadeaux Smartbox et le service de réservation en ligne de restaurants La Fourchette, avant de créer son propre fonds d’investissement, baptisé Otium. Il est, selon Challenges, la 81e fortune française, à la tête d’un patrimoine estimé à 1,6 milliard d’euros. C’est peu dire qu’il voulait cette villa Ugaïna. Au moment de sa vente, alors qu’elle était estimée à 3,7 millions d’euros, il avait fait monter les enchères à 6 millions d’euros pour en devenir propriétaire. Au nez et à la barbe de la ville qui était aussi sur les rangs mais qui n’avait proposé que 2 millions d’euros à l’État. Plus récemment, le milliardaire a aussi acquis pour 2,5 millions d’euros la résidence des Le Pen à Rueil-Malmaison.
L’homme d’affaires vient de mettre en vente cette villa, moins trois ans après l’avoir achetée et y avoir entrepris de très lourds travaux. Selon son entourage pas moins de 5,4 millions d’euros auraient été investis pour rénover le bâtiment « dans le respect ses caractéristiques architecturales », construire une piscine et un pool house, créer un garage et un étage habitable au-dessus. Des travaux 100 % basque. « Une dizaine d’entreprises locales toutes situées à moins de 100 km » de Saint-Jean-de-Luz ont travaillé sur le chantier, souligne-t-on. L’objectif de tous ces travaux était de redonner du lustre à la villa, certes exceptionnelle, mais restée dans son jus durant des décennies. Le projet du milliardaire était d’y installer sa famille, actuellement basée en Belgique.
Au regard des travaux réalisés, l’annonce de la mise en vente en a surpris plus d’un. «Les travaux extérieurs ne sont même pas encore finis, s’étonne un Luzien. Quand on passe devant la villa, on voit du béton sur un des murs. » Pourquoi s’en séparer si vite ? L’alchimie n’a pas pris entre le milliardaire aux idées très libérales et ultraconservatrices, ardent défenseur de l’union des droites, et les habitants beaucoup plus modérés de cette ville de Saint-Jean-de-Luz. Emmanuel Macron était arrivé largement en tête au second tour de la présidentielle de 2022 face à Marine Le Pen, avec 68,72 % des voix contre 31,28 % pour la présidente du Rassemblement national.
Un ancrage voué à l’échec
Le « serial entrepreneur », originaire d’Évreux, a bien tenté de s’ancrer dans ce territoire. Mais il n’y est pas parvenu. En août dernier, les mairies d’Hendaye et d’Espelette annonçaient avec fracas qu’elles se retiraient des « Plus belles fêtes de France», en raison des liens de ce label avec le milliardaire dont elles réprouvent les positions. La greffe semble tout aussi difficile avec le Biarritz olympique, dont l’homme d’affaires est récemment devenu actionnaire majoritaire. Alors que le club de rugby est en difficulté, des supporters ont publié en août une tribune au vitriol sur le site basque Mediabask. « On nous taxera peut-être d’ingratitude, et pourtant nous savons bien que sans l’argent d’Otium le club aurait probablement été rétrogradé. Mais le reconnaître n’équivaut pas à donner un blanc-seing aux nouveaux dirigeants : nous refuserons toujours toute tentative d’instrumentalisation du Biarritz olympique à des fins politiques» .
Ces critiques et ces craintes ne sont que la partie émergée de l’iceberg. « Le journal Sud-Ouest a révélé dans ses colonnes l’adresse exacte de la maison. À la suite de cette révélation, elle a fait l’objet de dégradations à plusieurs reprises, de type tags et collages insultants , indique l’entourage du milliardaire. M. Stérin a ensuite été alerté par les autorités administratives de l’existence d’un risque sécuritaire physique nécessitant la mobilisation d’un dispositif de protection permanent.» La situation est telle que « trente plaintes pour des faits de «doxing» (divulgation de données personnelles, NDLR) et pour des menaces de mort ont été déposées à ce jour. »
Pierre-Édouard Stérin en a tiré les conséquences de la manière la plus radicale qui soit. Il a mis en vente sa maison. « Vous pensez que j’ai envie de conserver à long terme une maison dont les militants radicaux de la gauche et de l’extrême gauche ont l’adresse ? », s’est-il ému récemment dans les colonnes du Nouvel Obs . Le prix de vente est en tout cas très élevé : 15 millions d’euros (hors frais d’agence), soit presque trois fois le prix d’achat. À cette nuance près que la surface est nettement supérieure qu’en 2022, au minimum 100 m² de plus du fait des extensions réalisées. Le prix de vente actuel « représente une plus-value potentielle de 1,8 million d’euros qui sera taxée à presque 40 %, et ce dans le cas de figure où une offre serait faite à ce prix, ce qui n’est évidemment pas garanti. C’est donc un prix de vente et une plus-value « normaux » pour ce type de bien très haut de gamme, situé en outre en plein cœur de ville à Saint-Jean-de-Luz », justifie l’entourage du milliardaire. Non sans insister sur le montant total des travaux réalisés, les frais financiers de 1,2 million d’euros acquittés. La villa Ugaïna, dont la commercialisation a été confiée à Barnes, trouvera-t-elle preneur rapidement à un tel prix ? Le milliardaire y a tout intérêt, s’il veut pouvoir tourner la page basque au plus vite, sans y laisser trop de plumes.
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