
Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche annonce un bouleversement majeur pour la politique de défense et l'armée américaines. (crédit : Nikolay DOYCHINOV / AFP)
La réélection de Trump le propulse de nouveau à la tête de la première puissance militaire mondiale. Sa future administration en matière de défense, comme pour d'autres domaines, risque une politisation accrue qui affaiblira ses institutions ainsi que le rôle des États-Unis dans l'espace mondial. Les positions controversées de son premier mandat prendront une tournure plus radicale encore, comme le laisse présager la nomination controversée de Pete Hegseth à la tête du Pentagone.
Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche annonce un bouleversement majeur pour la politique de défense et l'armée américaines. Comme dans d'autres domaines, sa vision en la matière repose sur des politiques polarisantes, des nominations controversées et une rhétorique agressive à l'égard d'ennemis idéologiques désignés.
Le nouveau président aurait l'intention de rétablir l'interdiction des personnes transgenres dans l'armée, qui avait été levée par Joe Biden. Il souhaite également traîner en justice les responsables du retrait, en août 2021, des troupes américaines d'Afghanistan et a déclaré vouloir « purger les woke » des cercles dirigeants de l'armée. Il a évoqué, en outre, l'utilisation de l'armée contre « l'ennemi intérieur ». Pour résumer, ses annonces marquent une rupture claire avec les principes d'inclusion, de cohésion et d'apolitisme des forces militaires.
Cette transformation intervient à un moment critique qui exige une armée prête et unie. Le contexte actuel est marqué par une intensification de la concurrence entre grandes puissances qui sous-tend une plus grande protection des intérêts nationaux, tandis que l'émergence de la guerre hybride se confirme de par le monde. Or la ligne proposée par Trump risque de fragiliser l'institution militaire, pilier de la puissance américaine.
Une transformation idéologique annoncée ?
Donald Trump a promis que son second mandat entraînerait une transformation radicale de l'armée américaine via le renforcement des mesures controversées qu'il a prises lors de son premier passage à la Maison Blanche. Au cœur de cette vision se trouve une refonte idéologique visant à éliminer ce qu'il appelle la « woke culture » des forces armées. Une promesse que martèlent et relayent des médias conservateurs comme Fox News.
Parmi ses priorités pourrait figurer, malgré son démenti, la proposition controversée d'interdire à nouveau les personnes transgenres au sein de l'armée. Sa décision initiale en ce sens en 2017, avait semé la confusion au sein du Pentagone : déclenchant des contestations internes et affectant des milliers de militaires en service actif.
En outre, Trump a renouvelé ses attaques contre les hauts responsables militaires désignés comme étant à l'origine du retrait des soldats américains du territoire afghan. Il a promis, à leur encontre, des purges ciblées et rompt, ce faisant, avec la tradition de neutralité de l'état-major. Ces tensions étaient déjà visibles lors de son premier mandat. Cette ligne de fracture s'est illustrée par des décisions unilatérales et des affrontements publics.
Un exemple parlant est l'affaire Eddie Gallagher, du nom d'un ancien soldat d'élite accusé de crimes de guerre, qui avait été gracié avec le soutien du président Trump – malgré l'opposition des responsables militaires. Ce dernier s'est aussi vu reprocher des déclarations controversées, dont la comparaison des généraux à des « bébés ».
Ses relations tendues avec le département de la Défense ont révélé un style de leadership imprévisible, souvent en rupture avec les normes traditionnelles de la chaîne de commandement. Trump privilégiait des annonces à brûle-pourpoint, comme l'interdiction des personnes transgenres qu'il avait annoncée sur le réseau social X (anciennement Twitter) en ayant contourné les consultations habituelles.
À l'aube d'un second mandat, il promet d'aller plus loin encore, en réorientant les priorités stratégiques et en plaçant à des postes clés des dirigeants alignés sur sa vision idéologique.
Refonder le leadership militaire façon Trump
Les choix de Donald Trump pour Le Pentagone illustrent des visions concurrentes du leadership militaire qui mêlent loyauté idéologique, dynamique politique et expertise stratégique.
La nomination à la tête du Pentagone de Pete Hegseth, vétéran de l'armée et ancien animateur de Fox News, incarne la vision nationaliste de Trump qui s'oppose ouvertement aux politiques dites « woke ». Hegseth incarne une ligne idéologique ancrée dans des valeurs conservatrices, qui privilégie une armée orientée vers la force brute et la projection de puissance. Son discours plaide pour un retour à une discipline militaire dite traditionnelle pour préparer les militaires au combat. Cependant, le futur dirigeant du département de la Défense est visé par des allégations de mauvaise conduite, notamment d'alcoolisme et d'agression sexuelle, ce qui suscite des inquiétudes bipartisanes.
Des figures clés à l'instar de Joni Ernst, première femme combattante élue au Sénat et membre du Parti républicain, avaient publiquement remis en question l'aptitude du futur ministre de la Défense, ce qui avait affaibli sa position malgré un soutien indéfectible de Donald Trump. Depuis, Ernst a revu ses positions en engageant des discussions avec Hegseth et en déclarant ne pas s'opposer à sa nomination.
Face à l'incertitude qui plane encore sur la nomination de Hegseth, d'autres candidats ont été évoqués, dont Ron DeSantis, actuel gouverneur de Floride et ancien conseiller juridique de l'US Navy. Ce dernier partage le rejet des initiatives visant à accroître la diversité au sein de l'armée, mais propose un leadership plus pragmatique. Mais sa rivalité avec Trump lors des primaires républicaines de 2024 a engendré une méfiance durable parmi les fidèles du président élu. Des personnalités comme Susan Wiles, la future directrice du cabinet présidentiel et directrice de campagne de Trump, l'accusent d'opportunisme, ce qui pourrait freiner son parcours malgré sa solide expérience militaire et politique.
Elbridge Colby, qui a servi dans la première administration Trump, sera nommé sous-secrétaire à la Défense chargé de la politique. Ce stratège reconnu et coauteur de la stratégie de défense nationale de 2018 incarne une voie technocratique centrée sur la concurrence entre grandes puissances, notamment face à la Chine. Son approche rigoureuse de la modernisation militaire correspond aux priorités stratégiques de Trump, mais son manque de liens avec la base de soutien du président ainsi que des rivalités internes pourraient réduire son influence dans une administration où la loyauté prime souvent sur l'expertise.
L'armée américaine à la croisée des chemins
L'armée américaine, pour sa part, pourrait également connaître une transformation radicale tant sur le plan stratégique que sur le plan humain.
Les priorités de Trump consistent à moderniser la puissance conventionnelle pour contrer la Chine et la Russie à travers des programmes de réarmement comme le Precision Strike Missile et le Future Long-Range Assault Aircraft. Néanmoins, cette réorientation pourrait négliger des menaces asymétriques comme le terrorisme. Le désengagement militaire précipité décidé par l'administration Trump en Syrie, par exemple, et la réduction des efforts de stabilisation ont créé des vides de pouvoir exploités par des groupes terroristes tel que Daech et d'autres acteurs régionaux, ce qui a renforcé l'instabilité dans des zones clés. Par ailleurs, les défis émergents comme la cyberguerre et les conflits en zones grises nécessiteraient une approche multi-domaines plus nuancée que l'unilatéralisme souvent privilégié par Trump.
Sur le plan humain, le futur locataire de la Maison Blanche risque d'exacerber la polarisation interne de l'armée. En plus de l'interdiction des personnes transgenres dans ses rangs et de la politisation des nominations, des controverses comme la suspension prolongée des promotions militaires par le sénateur républicain – et soutien de Trump – Tommy Tuberville, du fait de son opposition à une mesure de l'administration Biden facilitant l'accès à l'avortement au sein de l'armée, illustre également les divisions idéologiques qui traversent l'armée et que la présidence Trump risque d'amplifier.
Enfin, des gestes d'irrespect reprochés à Trump, comme son refus de visiter un cimetière militaire à l'étranger ou la récente controverse de son passage au cimetière d'Arlington ont profondément choqué les officiers et les soldats américains. Ce manque de respect pour les sacrifices militaires affaiblit le lien entre l'institution militaire et son rôle d'incarnation des valeurs nationales et réduit la confiance du public envers une armée historiquement apolitique et unificatrice.
À terme, ces dynamiques risquent de compromettre la cohésion interne et d'affaiblir la posture stratégique de Washington sur la scène internationale. Préserver la neutralité, la préparation opérationnelle et les principes fondamentaux de l'armée demeure essentiel pour garantir sa capacité à relever efficacement les menaces actuelles et futures.
Elizabeth Sheppard Sellam
Responsable du programme « Politiques et relations internationales » à la faculté de langues étrangères, Université de Tours
Cet article est issu du site The Conversation
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